L'Institut tunisien des relations internationales (ITRI) va sortir bientôt Chroniques de l’impérialisme et
de la résistance, en version arabe (وقائع الإمبريالية والمقاومة). Il s'agit d'une belle anthologie d'articles de combat écrits par Bruno Guigue et traduits par Ali Ibrahim. Notre ami Dr Ahmed Manaï m'a très honoré en me confiant la signature de la préface. Dont je livre ci-dessous (pour Bruno et ses amis non arabophones) la traduction.
« Nous apprécions à juste titre ces voix libres et intrépides qui
s’élèvent en France et ailleurs, dont celle du sous-préfet de Saintes. Et nous
voudrions que les Arabes et les musulmans ouvrent les bras à ces voix, leur
rendent l’hommage et l’estime mérités, et qu’ils œuvrent en même temps à se
transformer eux-mêmes en force qui empêche l’Autre de les faire chanter ou leur
faire du mal. »
Mohammad Hussein
Fadlallah, Beyrouth, 30 mars 2008
A travers la présente édition des Chroniques de l’impérialisme et
de la résistance en version arabe, l’Institut tunisien des relations
internationales (ITRI) voudrait donner une poignée de main fraternelle à un
intellectuel français de grande stature, une figure imposante de la lutte
contre l’impérialisme et le sionisme. Cette poignée de main, et nous ne le dirons
jamais assez, quelles que soient sa portée symbolique et la tournure des
phrases qui veuillent la présenter ici, ne peut traduire à souhait la profonde
gratitude dont nous sommes redevables à cet homme. « Nous », ce sont
tous les Arabes et les musulmans conscients de la face cachée des conflits sur
leur terre ainsi que dans le reste du monde, et ayant connu à travers ses
écrits et positions Bruno Guigue, l’auteur de cette remarquable anthologie
d’articles ici traduits.
Bruno Guigue a commencé son parcours
d’écrivain depuis plus d’une vingtaine d’années, plus précisément au lendemain
de la chute du mur de Berlin. Auteur engagé soutenant sans relâche les justes
causes des peuples, il incarne à bon droit l’honneur français, la conscience
rebelle d’une grande nation desservie par ses dirigeants, la voix libre qui,
est-il besoin de le dire, fait défaut à la France officielle. Guigue est bien
cela, sans fioriture aucune, qui a choisi de se positionner dès le départ à
contre-courant de l’idéologie dominante, le bourrage de crâne impérialiste, la
bien-pensance et les résistances doxiques d’un Occident
imbu de sa civilisation ethnocentriste et de son mythe de monde libre. Sans tenir
compte ni de l’inconfort d’un tel choix pour sa condition intellectuelle, ni
–le moment venu- des éventuelles incidences, et non des moindres, sur sa
condition de haut fonctionnaire d’Etat. Dès les primeurs de ses publications,
tout en œuvrant à démonter la machine à décerveler des missionnaires du nouvel
ordre mondial,
il a fait de la cause palestinienne et des complots impérialistes ciblant le
monde arabe l’axe principal de ses écrits. Et en dépit du lobby sioniste
implanté à plus d’un niveau en France et en Occident en général, de ses
pressions continuelles en vue d’empêcher
la propagation de la pensée qui lui est hostile, et du vil chantage à
l’antisémitisme,
Guigue ne s’est pas écarté d’un iota de son engagement pour cette cause,
restant incessamment debout, incessamment intègre, pour lutter avec honneur et
vaillance contre les manipulations de l’establishment en Occident et
l’imposture médiatique de la machine sioniste.
Rien d’étonnant, dès lors, à ce que cette machine s’évertue à marquer de
la « lettre écarlate », dans son sens revu et mis à jour,
Bruno Guigue. Comme elle l’a fait d’ailleurs, et ne cesse de le faire, à
l’encontre de nombreux symboles de l’activisme et de la pensée antisionistes en
Occident, en guise de châtiment frappant l’offense suprême des temps modernes,
en l’occurrence le « blasphème » contre le sionisme. Quand nous
disons « blasphème », il ne faut pas perdre de vue tous les supposés
de ce mot tels qu’« impiété », « sacrilège »,
« profanation », etc., sachant que « antisionisme », dans
l’usage courant des chiens de garde sionistes et des médias de manipulation et
d’imposture qui leur sont dévoués, est devenu synonyme d’antisémitisme.
Et comme cela se passait au tristement
célèbre âge d’or du puritanisme, quand, en 2008, dans un pays qui se targue
d’appartenir au « Monde libre » et ne manque jamais le coche pour
faire la leçon à tel ou tel bled péchant à l’endroit de la liberté
d’expression ou tout autre droit humain, Bruno Guigue a été démis de sa
fonction de sous-préfet, cette sanction injuste, et indiscutablement arbitraire,
n’est plus ni moins qu’une incarnation du néopuritanisme qui s’est propagé en
Occident depuis que la critique d’Israël est devenue le péché capital suprême.
Nous citons ci-dessous un extrait
du texte publié par Bruno Guigue un mois à peu près après son éviction. Le
lecteur averti ne manquera pas de capter à travers le non-dit la nausée de
l’intellectuel et le cri percutant de sa révolte face à l’injustice
discriminatoire, le deux poids-deux mesures incessamment dénoncé et toujours
prévalent.
« [...]Au lieu de
réfuter mes affirmations de manière factuelle, mes détracteurs préfèrent ainsi
jeter l’anathème[...]Mea culpa : j’avais oublié que les comparaisons les plus
désobligeantes, aux yeux de l’establishment hexagonal, sont interdites à propos
d’Israël mais vivement recommandées à l’égard des pays du « Tiers Monde ». Mon
principal tort, plus que d’avoir enfreint le devoir de réserve, n’est-il pas
d’avoir heurté de plein fouet la doxa occidentale ? Après avoir mis en lumière
le déni de réalité dont le discours dominant entoure les exactions
israéliennes, il faut croire que c’en était trop. À mes dépens, j’ai fait la
démonstration que la frontière entre ce qu’il est licite de dire et ce qui ne
l’est pas, dans notre pays, n’a rien à voir avec le vrai et le faux. »
Sur son blog en date du 8 octobre
2010, l’auteur de cette préface s’est demandé s’il fallait pendre ces
intellectuels –dont Guigue- qui « n’endossent pas le prêt-à-penser
sioniste », et ce, d’une part en raison du danger que représente leur
pensée pour le sionisme, et partant l’entité sioniste elle-même, et d’autre
part en raison du balai qui se retourne contre les apprentis-sorciers chaque
fois que ceux-ci tentent d’exorciser l’irréductible pensée de ces
intellectuels. « A un moment où les fédayins semblent pour la
plupart sous terre ou sous les verrous, écrit-il, et la
résistance armée palestinienne paraît neutralisée ou dissoute d'elle-même, le
danger immédiat qui menace le plus les sionistes n'est plus tout à fait à
l'intérieur de la Palestine occupée mais sur les frontières et au-delà. Certes,
on lorgne incessamment du côté du Liban et, plus loin, de l'Iran dont la menace
hante de façon obsessionnelle Israël. Mais on s'inquiète aussi de ces voix qui montent
des pays amis. Le vent de la « sédition intellectuelle » qui souffle
du Nord, faisant vaciller des mythes qu'on croyait inébranlables et menaçant de
se muer en une véritable révolution culturelle se propageant dans le monde
entier, est actuellement ce qui terrifie le plus les sionistes. »
En vérité, Bruno Guigue a été
sanctionné parce que sa voix, justement, participe de la « montée des
périls » qui s’annonce en Occident, du cauchemar qui hante de plus en plus
Israël. Quoique banni des médias « mainstream », et pour cause ! Guigue a
déjà produit un « déclic de neurones » dans la conscience que les
thuriféraires du sionisme veulent maintenir constamment tétanisée, à jamais
otage des rentiers de l’holocauste et de l’antisémitisme en toc. Dans le
cerveau continental, voire universel, tantôt aveuglément pro-israélien, tantôt
totalement apolitisé en matière de questions proche-orientales, les écrits de
Guigue ont incontestablement transpercé une barrière de séparation (pas
moins bétonnée que le mur ségréga-sioniste en Palestine occupée). Et là
où cette voix a pu parvenir, elle a incontestablement contribué non seulement à
faire vaciller les mythes fondateurs de l’entité sioniste, dont le hocus
pocus « antisémitisme » prononcé en tout lieu contre quiconque ose
critiquer Israël, mais aussi et surtout à créer une nouvelle conscience
révolutionnaire, à l’intérieur comme à l’extérieur de la France, dans la lutte
des peuples pour un monde alternatif.
Dans cette lutte précisément,
combien de plumes fourvoyées, ou fourvoyantes, se sont fait, chez nous ou en
Occident, la tribune tonitruante de la pseudo-révolution syrienne ! Que
n’a-t-on pas dit en guise de soutien au « vaillant peuple » soulevé
d’un « seul bloc » contre le « méchant dictateur » ?
Combien d’« amis de Syrie», au monde arabe et ailleurs, ont contribué à
répandre ce monument d'imposture et d'ignominie
, alors qu’ils savaient
pertinemment que les pseudo-révolutionnaires de Syrie sont en fait les
hordes mercenaires de la barbarie obscurantiste, des terroristes originaires de pas moins
de 110 pays et répartis sur des centaines de groupuscules, tous, de Daesh à
al-Nosra en passant par Ansar al-Charia, Jaich al-Fateh, Jund al Malahim, etc.
frères de lait wahhabite. Et qui sont
les apôtres, les mécènes, les promoteurs généreux de ces
couteaux sacrés chargés de répandre au
Cham la liberté et la démocratie?
Voilà une question à laquelle nos voix amies de la Syrie ne sauraient assez répondre de gaieté de coeur.
|
Bruno Guigue |
En vérité, si ces couteaux et les voix arabes qui les aiguisent avaient un atome d'intelligence, ils auraient compris de longue date qu'une "révolution" soutenue par les USA et Israël ne pourrait faire augurer rien de bon ni aux Syriens ni au reste des Arabes et des musulmans. Le seul bénéficiaire de tant de sang arabe répandu (pour n'évoquer que tel aspect), est, hélas, Israël, le pyromane qui rêve de voir tous ses voisins à feu et à sang, et pour cent ans si possible.
Parce que, à ce propos aussi,
Bruno Guigue n’a pas failli un moment à son soutien des justes causes de nos peuples, qui n’a jamais dissocié ce qui se passe en
Syrie de ce qui se mijote dans la cuisine commune de Washington et Tel-Aviv,
qu’il n’a cessé de souligner l’intime rapport entre l’avenir de la Syrie et
celui de la Palestine,
nous ne dirons jamais assez l’importance du rôle qu’il a joué pour éclairer
l’opinion, tant à l’intérieur de son propre pays qu’à l’extérieur, dans le
monde francophone mais aussi, grâce à une pléiade
de traducteurs et –sans exagération aucune- une myriade de relais sur Internet, dans le reste du
monde.
A l’heure où nous rédigeons cette
préface, nous apprenons que Bruno Guigue sera à Tunis, du 19 au 21 décembre
2018, sur invitation du Front Populaire. Nous ne pouvons qu’applaudir, en tant
que forces progressistes d’un pays arabe, l’initiative prise par les militants
du F.P. Et nous souhaitons que d’autres instances nationales, politiques, civiles,
culturelles ou universitaires, invitent à leur tour cet intellectuel et lui
rendent l’hommage qu’il mérite. Et tant pis pour les « amis de la
Syrie », d’ici et d’ailleurs, et les cafards des BNVC, d’ailleurs et
–éventuellement, sait-on jamais, d’ici aussi, s’ils trouvent de mauvais aloi cet
appel ! A ceux-là nous voudrions dire haut: allez boire de l’eau de mer ! Bruno Guigue est notre voix,
notre ambassadeur dans chaque tribune qui fasse écho à sa voix, notre
conscience vivante et irréductible. De même qu’il est le cri incoercible de
tous les indignés de la terre. Face aux jougs de l’exploitation, de
l’impérialisme, de la culture déshumanisante et du mensonge d’où qu’il
vienne.
|
Ali Ibrahim |
Pour conclure, nous adressons nos
plus vifs remerciements à M. Ali Ibrahim qui a traduit ces articles dans un
arabe à la fois standard et châtié, n’enviant rien à l’éloquence du texte original. En vérité, ce
traducteur syrien talentueux a réalisé un double exploit : il a traduit
Guigue sans le moins du monde le trahir. Et d’une. Et de deux : il a su
conserver intact l’aspect formel, stylistique et esthétique, du texte original.
Et c’est une chose
qui n’est pas toujours aisée -c’est le moins qu’on puisse en dire.
D’autant que ce passeur de lumière, lui-même engagé dans la résistance de son
peuple, n’a pas le loisir de prendre son temps. Ce qu’il fait depuis sa
première traduction de Guigue, c’est un peu le travail d’un
« correspondant de guerre » sur le
front guiguien. De la
traduction immédiate. Mais de bonne qualité. Ainsi a-t-il permis au lecteur
arabophone de suivre avec bonheur les articles de Guigue au fur et à mesure de
leur parution.
Ali Ibrahim est un universitaire
et activiste syrien titulaire d’une licence ès langue et littérature françaises
de Tishreen University (Université d’Octobre) à Lattaquié. Il a traduit de nombreux
articles d’auteurs d’expression française et anglaise, dont le thème principal
s’articule autour de la guerre en Syrie.
Ces traductions sont publiées sur le site orhay.net et sur sa page Facebook.
Ahmed Amri
5 mars 2018