jeudi 18 décembre 2014

Enjeux de l'élection présidentielle tunisienne


Ce 21 décembre, la Tunisie élira au suffrage universel son premier président depuis la révolution de 2010-2011. Elle choisira entre les deux gagnants du premier tour, le président sortant Moncef Marzouki qui a été élu à titre provisoire, en 2011, par les membres de l'Assemblée constituante, et Béji Caïd Sebsi, vieux routier de la politique, vétéran bourguibiste et président du parti Nidaa Tounes.

A la veille de ce second tour où, malgré des estimations serrées, Sebsi est donné favori,  la Tunisie est incontestablement divisée en deux camps. Chacun a ses enjeux propres et ses appréhensions. D'une part, les islamistes et les partisans de l'ex-troïka rangés derrière Marzouki, qui, redoutant ce qu'ils appellent le taghaouel(1) de Nidaa Tounes vainqueur aux législatives du 26 octobre dernier, espèrent conjurer ce risque en s'adjugeant la première tête de l'exécutif. De l'autre, le camp opposé à ladite troïka où diverses sensibilités allant de la droite libérale à l'extrême-gauche sont réunies, qui, craignant les retombées d'un éventuel bicéphalisme de l'exécutif, appellent de tous leurs vœux la défaite de Marzouki.

Avant d'analyser ces enjeux et ces craintes, il faut d'abord souligner que même si la magistrature suprême en Tunisie n'a plus, constitutionnellement parlant, les compétences qui étaient les siennes sous Bourguiba ou son successeur Ben Ali, le prochain président tunisien aura un poids inestimable dans la réussite ou l'échec de la politique gouvernementale. Sachant que les orientations générales de la défense, les affaires étrangères, la ratification des traités internationaux, l'assurance de la sécurité intérieure de la République, la nomination de Gouverneur de la Banque Centrale et de mufti de la République, la grâce(2), entre autres compétences, font partie des droits régaliens du président. Sachant que celui-ci peut renvoyer des projets de lois adoptés par le Parlement pour une deuxième délibération, soumettre au référendum populaire les projets de lois sensibles liées aux droits et libertés, au statut personnel ou tout projet de révision de la Constitution, sachant enfin que ce président peut assister au conseil des ministres et le présider, on peut deviner ce qui suscite les craintes des uns et des autres en cas d'élection qui mette à la tête du pays le candidat du camp adverse.


En cas de victoire de Béji Caïd Sebsi, la Tunisie ne risque pas de vivre des crises politiques opposant le gouvernement au président de la république. L'entente garantie de facto par l'appartenance des deux têtes de l'exécutif à la majorité épargnera au pays les dissidences du pouvoir, et non des moindres, à redouter d'un éventuel bicéphalisme où la cohabitation se profile difficile, voire impossible. Par contre, si Marzouki est élu, le dualisme installé à la tête du pouvoir ne pourra que contrarier les décisions du gouvernement, avec les risques majeurs que ce dernier aurait à se voir brider, bloquer, voire dissoudre en cas de conflits ou de bras de fer entre les deux têtes de l'exécutif. Le président lui-même ne s'en trouvera pas dans une situation enviable, qui risque d'être condamné à l'isolement s'il se met sur le dos un gouvernement qu'il contrarie de façon abusive et systématique. Et dans un tel cas de figure, il va sans dire que le pays ne pourra que trinquer à son tour.


Cependant, pour les partisans de Marzouki le vrai péril à craindre serait plutôt dans l'accaparement de tous les pouvoirs par la partie adverse. D'autant que celle-ci incarne, à leurs yeux, un avatar de la dictature déchue. Derrière Béji Caïd Sebsi et son parti Nidaa Tounes, les inconditionnels de Marzouki ne voient que les anciens militants ou adhérents du RCD (Rassemblement constitutionnel démocratique), les azlams(3) de Ben Ali recyclés sous les oripeaux du social-libéralisme bourguibiste. Par conséquent, seule une victoire de Marzouki à la présidentielle pourra dresser un rempart contre le retour de la dictature. C'est en tout cas le cheval de bataille des marzoukistes et de leur candidat depuis le début de la campagne électorale.

En vérité, ce spectre de la dictature revenante qu'agitent inlassablement Marzouki et ses partisans n'a aucun fondement concret. C'est un vieil épouvantail électoraliste qui a déjà servi aux islamistes dans la campagne électorale de 2011. Et l'anathème de taghaoual(1) et d'azlams(3) lancé contre Béji Caïd Sebsi et son parti ne peut duper que les simples d'esprit. Car la réalité de Nidaa Tounes est tout autre que l'image caricaturale et ridicule que tentent de lui coller Moncef Marzouki et ses partisans. Fondé et autorisé en 2012 sous la gouvernance de la Troïka et avec la bénédiction du ministre de l'intérieur islamiste Ali Larayedh qui en a signé le visa d'autorisation, ce parti a pu rassembler en deux ans les diverses sensibilités opposées au régime de la Troïka. Que ce parti compte aujourd'hui parmi ses adhérents beaucoup d'anciens
destouriens et rcdistes, cela est indiscutable. Mais la grande majorité de ses dirigeants, et il n'est que de voir ses comités constitutif et exécutif pour s'en rendre compte, sont d'authentiques opposants à Ben Ali, dont beaucoup sont issus de la mouvance progressiste et des divers courants de la gauche. Ainsi le numéro 2 de ce parti,Taïeb Baccouche, n'est autre que le secrétaire général et l'idéologue de l'UGTT (Union générale tunisienne du travail) entre 1981 et 1985. Ce même leader syndical était, de 1998 à 2011, président de  l'Institut arabe des droits de l'homme. A côté de Taïeb Baccouche, on trouve Boujemâa Remili, militant du Parti communiste tunisien (devenu mouvement Ettajdid puis Pôle démocratique moderniste). On trouve aussi Mohsen Marzouk qui a milité au sein du Travailleur Tunisien (mouvement marxiste-léniniste) puis au sein de la LTDH (Ligue tunisienne des droits de l'homme).  Sans oublier le doyen des défenseurs de droits de l'homme Ali Ben Salem ou le militant et leader syndical Abdelmajid Saharaoui. Quel crédit donner alors aux jeteurs d'anathèmes quand on sait que la plupart de ces militants ont subi la persécution et la prison, soit sous Ben Ali soit sous son prédécesseur, soit sous l'un et l'autre et même sous l'occupant français auparavant?

Mais il faut souligner aussi que ceux qui, malgré ces considérations, accusent Nidaa Tounes d'être l'officine des RCD oublient que le premier parti à avoir recyclé en masse les anciens RCD au lendemain des élections de 2011 n'est autre que le mouvement Ennahdha, ce même mouvement qui soutient aujourd'hui, directement ou à travers son électorat, la candidature de Marzouki. Quant au dénigrement du même ordre ciblant la personne de Béji Caïd Sebsi, il n'en est pas moins dénué de tout fondement. En 1980, Béji Caïd Sebsi a été le premier proche de Bourguiba à avoir eu le courage de prôner le multipartisme. Et il a appelé à la mise en place d'une démocratie qui mette fin à l'hégémonie du parti unique. Sous Ben Ali, le seul reproche qu'on puisse lui faire c'est d'avoir été président 
de la Chambre des députés pour un an et demi. Béji Caïd Sebsi s'est retiré de lui-même de la scène politique en 1991 et n'y est revenu que 20 ans plus tard,  après la révolution du 14 janvier 2011. Et les Tunisiens n'oublient pas que c'est sous la gouvernance de cet homme nommé Premier ministre entre le 27 février et le 24 décembre 2011, sous la présidence intérimaire de Fouad Mebazaa, que leur pays a pu faire ses premières élections libres et démocratiques en octobre 2011.

Par conséquent, le spectre de la dictature revenante à conjurer à travers la réélection de Moncef Marzouki n'est qu'un vulgaire alibi qui ne peut tromper les Tunisiens avertis. Ceux-ci savent que la véritable bataille pour la présidentielle ne se joue pas entre Marzouki et Sebsi, mais entre ce dernier et Ghannouchi. Entre le camp séculier et le camp islamiste. Marzouki dont le parti CPR (Congrès pour la république) n'a remporté que 4 sièges aux législatives récentes, avec 2.4% des voix (contre 86 sièges et 37.86% des voix  pour Nidaa Tounès) ne sert que de prête-nom circonstanciel au mouvement Ennahdha. Sans le report de voix islamistes qui lui a permis de remonter la pente, Marzouki n'aurait pas franchi le premier tour des présidentielles. Et il n'aurait même pas distancé son associé de l'ex-troïka Mustapha Ben Jaafar, classé dixième, qui n'a obtenu que 0.67% des voix.
Les Tunisiens avertis savent que ce qui inquiète Marzouki et ses amis n'est pas le retour de la dictature, celle-ci ayant déjà contre elle un rempart infranchissable, en l'occurrence la nouvelle constitution  adoptée le 26 janvier 2014 et promulguée le 10 février de la même année. Les Tunisiens avertis savent que ce qui inquiète Marzouki et ses amis c'est d'avoir à rendre compte des abus de pouvoir et les crimes politiques (dont les assassinats de Belaïd et Brahmi) qui ont marqué  la gouvernance de la Troîka de décembre 2011 à janvier 2014.

A. Amri
7.12.14


Notes:

1- Mot arabe dérivé de goule et signifiant prendre une stature ogresque, vampirique.
2- Il convient de noter ici que sous les trois ans du mandat provisoire de Moncef Marzouki, les assassinats politiques ou les actes terroristes visant l'armée et la police ont été en partie l’œuvre d'anciens prisonniers graciés. Et beaucoup de ces graciés ont traversé les frontières pour grossir les rangs des jihadistes soit en Irak et en Syrie, soit en Libye.
3- Terme péjoratif qui désigne les taupes, les auxiliaires de l'ancien régime.

vendredi 12 décembre 2014

Ali Ben Salem: un combat pas comme les autres en quelques lignes



Il est né le 15 juin 1931 à Bizerte.

A 7 ans, son père est tué par balles au cours d'une manifestation contre l'occupant français. A 14 ans, il rejoint le maquis et s'engage dans la lutte armée contre cet occupant. A 16 ans, le tribunal militaire français le condamne à mort par contumace pour des actes de guérilla à Bizerte. A 24 ans, alors que la Tunisie est sous régime d'autonomie interne, il est condamné à la clandestinité et à l'exil pour s'être attiré les foudres de Bourguiba et de Ben Youssef réunis, ayant refusé de se ranger derrière l'un ou l'autre. A 30 ans, il a failli laisser la vie dans la bataille d'évacuation de Bizerte, blessé au cou et au dos. A 32 ans, il est condamné aux travaux forcés à perpétuité pour avoir participé à la tentative de complot contre Bourguiba en 1962. Sa femme meurt alors qu'il est en prison et l'administration pénitentiaire l'empêche d'assister à son enterrement. Après avoir purgé 11 ans de bagne, il est gracié avec tous les membres du groupe des insurgés en 1973.
A 46 ans, il cofonde la Ligue tunisienne des droits de l'homme (LTDH) et milite en son sein pour la libération des prisonniers politiques opposants au régime de Bourguiba.
Sous le régime de Zine el-Abidine Ben Ali, il continue son combat farouche et ne plie jamais. A partir de 1991, il mène plusieurs campagnes contre l'emprisonnement des partisans du mouvement Ennahdha et d'autres pour l’amnistie de tous les prisonniers politiques. En 1998, il participe à la fondation du Conseil national pour les libertés en Tunisie. En avril 2000, alors qu'il est septuagénaire, il est aspergé de gaz lacrymogène et roué de coups dans un commissariat de Tunis. De graves lésions de la colonne vertébrale, un traumatisme crânien et des contusions s'ensuivent, faisant de cette agression un acte de torture en bonne et due forme. En 2002, il s'oppose au référendum amendant la Constitution de 1959 (amendement permettant au président Ben Ali de se présenter une nouvelle fois aux élections présidentielles). En 2003, il fonde avec Radhia Nasraoui l'Association de lutte contre la torture en Tunisie. En même temps, il contribue à la dénonciation de plusieurs affaires de corruption impliquant le président et sa famille.
À partir de novembre 2005, il est soumis à la surveillance quotidienne par une patrouille de police stationnée devant son domicile. On lui interdit de recevoir des visites. On lui coupe le téléphone. On le suit à chaque déplacement.
Le 3 juin 2006, âgé de 75 ans, il est enlevé de son lit par la police et maintenu en détention pour trois jours.
C'est, en quelques mots, le parcours de Ali Ben Salem, doyen des défenseurs des droits de l'homme en Tunisie. On ne le dira jamais assez: ce que ce militant a enduré pour la Tunisie et la démocratie, aucun Tunisien n'en a souffert le centième. En retour, après la révolution de 2010-2011, certains Tunisiens ne sont pas embarrassés de payer d'ingratitude un tel combat.

Contrairement aux islamistes qui ont réclamé à l'Etat des dédommagements et les ont obtenus, Ali Ben Salem n'a rien demandé. Même pas à recouvrer son droit à la couverture sociale et à la retraite. En 2011, quand Moncef Marzouki est devenu président provisoire, apprenant que le militant âgé de 80 ans ne disposait d'aucune ressource matérielle depuis qu'il a té privé de son travail par le dictateur déchu, il lui a accordé une allocation mensuelle de 500 dinars (€250). Mais dès que le président a su que Ali Ben Salem avait des contacts avec Nidaa Tounes (le parti fondé par Béji Caîed Sebsi), il a suspendu l'obole présidentielle.

Le peuple lui a néanmoins permis de prendre sa revanche aux dernières élections législatives. Le mardi 2 décembre 2014, Ali Ben Salem a présidé la première séance du nouveau parlement tunisien, en sa qualité de doyen d'âge des députés élus. Un grand moment d'émotions non seulement pour ce militant hors pair dans l’histoire de la Tunisie, mais pour tout le pays qui a suivi en direct cette plénière inaugurale.



A. Amri
12.12.14

vendredi 14 novembre 2014

Marzouki: arcanes d'un slogan électoral



Dans l'histoire universelle des élections présidentielles, il y a des slogans de campagnes électorales qui ont fait date. On songe à la formule concise  mais emblématique de l'affiche de Mitterrand en 1981: "La force tranquille". Ou à la non moins concise formule poétique de l'affiche d'Eisenhower en 1953: "I like Ike". On peut en citer d'autres non moins mémorables, comme le slogan de l'UMP en France pour les européennes de 2009: "Quand l'Europe veut, l'Europe peut". Celui de Herbert Hoover aux présidentielles américaines de 1929: "A Chicken in Every Pot. A car in every garage" (Un poulet dans chaque casserole, une voiture dans chaque garage). Ou encore le "Yes We Can! (Oui, on le peut !) " de Barak Obama aux présidentielles de 2008. 

Tous ces slogans ont fait des campagnes qui leur sont associées des campagnes victorieuses. Et les publicitaires qui les ont élaborés en ont tiré autant de bénéfices que les bénéficiaires directs dans la sphère politique.

Moncef Marzouki a choisi comme slogan d'affiche: ننتصر... أو ننتصر qu'on pourrait traduire soit par: "Nous vainquons...ou nous vainquons", soit par "On gagne...ou on gagne". Dans les deux versions, ce qui nous intéresse ici surtout c'est de pénétrer le sens de cette alternative qui n'en est pas une. Spirale vertueuse ou cercle vicieux, la  boucle de rétroaction, le choix qui invite le lecteur du slogan à opter pour le bonnet blanc ou le blanc bonnet a quelque chose de pervers ou d'absurdeQue peut-il y avoir dans les arcanes de "أو /ou", conjonction tantôt disjonctive tantôt exclusive, pour doter le terme qui la suit d'un sens que l'explicite ne dit ni élucide ?

Rappelons d'abord que le slogan "On gagne...ou on gagne" n'est pas inédit dans le continent africain. Il a été adopté en Côte d'ivoire par Laurent Gbagbo dans sa campagne pour l'élection présidentielle de 2010. Rappelons aussi que l'ex-président ivoirien a été battu au cours de cette élection, qu'il a refusé de quitter le pouvoir, ce qui a entrainé une crise de plusieurs mois qui a failli conduire à la guerre civile son pays. Réinvestir ce même slogan dans un autre pays du continent, s'il peut dénoter un courage, une absence de superstition chez notre vaillant président provisoire, il peut dénoter aussi une certaine identité continentale de l'esprit démocratique qui fait de Marzouki un suiveur de Gbagbo. 

ننتصر... أو ننتصر Nantassir aou nantissir laisse supposer que le candidat tunisien à sa propre succession fait sienne la devise de César Borgia, quoique Marzouki ait mis à jour la célèbre formule devenue référence du machiavélisme. Ce n'est pas le Aut Caesar, aut nihil « Ou César, ou rien » du Valentinois que cite fréquemment Machiavel dans Le Prince. Mais Aut Marzouki, aut Marzouki « Ou Marzouki, ou Marzouki » qui sera peut-être cité un jour par quelque émule de Machiavel dans un ouvrage ayant pour titre Le Président.

Inclusif ou exclusif, le "أو /ou" se veut dénotatif d'une campagne féroce, sans merci, à la limite performative par quoi Marzouki se proclame d'ores et déjà président. L'alternative de la victoire est la victoire: il n'y a pas de place pour la défaite.

On peut être tenté d'apparenter encore ce slogan, dans ce qui semble se lire en filigrane comme un non-dit, à la célèbre phrase d'Omar Al-Moukhtar:"ننتصر أو نموت nous vainquons ou nous mourons".  Mais si Marzouki peut bien se complaire dans cette analogie qui fait de lui le héros d'une épopée comparable à celles des figures de la résistance maghrébine anti-coloniale, il n'est pas certain qu'il veuille partager lui-même le sort d'Al-Moukhtar, et pour cause. Néanmoins s'il faut qu'on meure pour lui afin qu'on gagne ou on gagne, on présume que le césar tunisien ne dirait pas non. D'ailleurs, à composer dans sa campagne électorale avec les islamistes de tout bord, les salafistes dont plus d'un ne reconnaissent ni la constitution ni la démocratie ni le régime républicain, les LPR (Ligues de protection de la révolution) qui sont à l'islamisme local ce que furent les Chemises noires et brunes au fascisme mussolino-hitlérien, les énergumènes du révolutionnisme ringard tels que Abderrahman Souguir, à s'approprier en la même circonstance une rhétorique jihadiste pour évoquer ses adversaires, Marzouki se place dans une perspective pour le moins suspecte de l'après-présidentielle. Aurait-il des velléités d’emprunter à  l'exemple démocratique gbagboéen dont il a plagié le slogan la rebuffade post-élecorale susceptible de donner tout son sens à On gagne ou on gagne ?



A.Amri
14.11.14

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Quand Marzouki joue le dévot au Croissant


Quand Marzouki joue le dévot au Croissant



En Tunisie comme dans le reste des pays du printemps arabe, taghout طاغوت , pluriel tawaghit طواغيت est un mot très prisé dans la rhétorique islamiste. Et très malfamé aussi dans l'entendement civil. Depuis que les jihadistes ont pris l'habitude d'en user et abuser pour désigner les cibles de leurs actes terroristes, le mot est devenu synonyme des maux qui infectent ledit printemps et ensanglantent ses pays.

Si l'arabe courant privilégie l'emploi de taghia طاغية, pluriel toughat طغاة pour appeler un despote exerçant un pouvoir tyrannique et injuste, la phraséologie islamo-jihadiste utilise plutôt le terme taghout et lui assigne une extension néologiste qui le dévie de son sens premier. Terme du même radical que le précédent, à valeur augmentative, taghout est davantage connoté que taghia; et il signifie un potentat qui exerce un pouvoir satanique, non conforme aux lois de Dieu. Dans le Coran, les occurrences de taghout sont associées à Satan, au sorcier, à l'idole ou à toute autre déité païenne. Le terme signifie aussi par extension le temple des idolâtres. En Tunisie, depuis les premiers actes terroristes visant des soldats, des agents de la police et de la garde nationale tunisiennes, et auparavant des opposants politiques de la Troïka, le terme taghout a acquis un sens nouveau. Lequel élargit son champ sémantique pour le faire couvrir ce que le philosophe français Louis Althusser appelle dans les années 1970 l'Appareil idéologique de l'Etat (1).


Que peut bien signifier dans la bouche d'un soi-disant laïque qui se réclame de la gauche et ancien militant des droits de l’homme(2), en l'occurrence Moncef Marzouki, le mot "taghout" employé au pluriel pour désigner son principal concurrent à la présidentielle et le parti de celui-ci Nidaa Tounes ?

En vérité, il serait malaisé d'imaginer que le candidat à sa propre succession songe à porter en sus du burnous qui lui sied si bien la djobba d'un dévot au Croissant. Cet homme n'est pas le type à se convertir à l'islam radical ni même aux conventions de la piété commune au point d'adopter le discours extrémiste, puritain et takfiriste. Ce serait se méprendre sur le compte d'un homme dont le positionnement de gauche n’a jamais varié en réalité, si ce n'est que l'homme, opportuniste et se prêtant aux compromis qui paient, a dû pactiser avec les islamistes pour arriver au pouvoir.
Comme il ne veut pas céder de si tôt ce pouvoir dont il n'a tiré que la gloriole du Tartour (guignol), et le céder de surcroit à un probable adversaire qui incarne à ses yeux un avatar de la dictature déchue (telle serait sa profonde conviction), il n'a d'autre alternative que de reconduire son pacte avec les islamistes, toutes tendances confondues.
Par conséquent, s'il faut jouer au tartuffe pour racoler l'électorat sur lequel il compte, comme un mal nécessaire, pour succéder à lui-même, il ne doit pas lésiner sur les moyens lui permettant d'être dans les bonnes grâce de tel électorat. Force est pour lui de s'approprier non seulement la phraséologie puritaine et rigoriste de la doctrine qu'il est censé combattre en tant que laïque, mais il doit composer aussi avec "l'avant-garde révolutionnaire" islamiste: les LPR (Ligues de protection de la révolution), les cheikhs salafistes tels que Béchir ben Hassen, les fanatiques et les énergumènes du révolutionnisme tels que Abderrahman Souguir l'ex-garde de Ben ALi, à ses yeux les plus capables de mobiliser dans son rang les ardents ennemis de la laïcité.

Reste à savoir si cette stratégie communicative opportuniste s'avère tout aussi payante de l'autre côté du mur. Les électeurs qui, aux récentes législatives, ont déjà sanctionné l'islamisme et les partis laïques ayant composé avec, ceux qui sont assez prévenus pour ne pas mordre dans cet appât  populiste et véreux, ceux qui en ont assez des agissements des LPR et consort, ceux pour qui la Tunisie ne peut plus parier sur Marzouki pour la sortir du terrorisme, du marasme économique et de l'incompétence diplomatique, ceux qui entendent l'emploi de "taghout" comme une complaisance à l'égard des jihadistes criminels, ceux-là, il n'est pas sûr qu'ils puissent pardonner à Marzouki ce dérapage de langue venimeux.

A. Amri
13.11.14

Notes:

1- Reprise par plusieurs philosophes, sociologues et politiques marxistes tels que Rémy Rieffel, François-Bernard Huyghe, Pierre Bourdieu, l'AIE est une notion qui analyse les modes de production capitaliste et leurs reproduction par l'accroissement du capital, ainsi que le rôle de l'Etat et sa collusion avec la classe bourgeoise dans la consécration de ces modes. L'AIE englobe deux composantes: appareils répressifs d’État (police, tribunaux, armée, les différentes administrations, etc.) et les superstructures idéologiques ( institution scolaire, religion, famille, syndicats, culture, etc.)

2- Élu président de la LTDH (Ligue tunisienne des droits de l'homme) au troisième congrès tenu en mars 1989, Moncef Marzouki a été évincé de la présidence au congrès suivant tenu en février 1994. De cette date-là à ce jour, soit depuis 20 ans, Moncef Marzouki n'est plus affilé à la LTDH.
Par conséquent, le candidat à sa propre succession ment dans sa campagne électorale quand il se targue d'être militant de la LTDH et ardent défenseur des droits de l'homme.


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mardi 11 novembre 2014

الدكتور أحمد المناعي: المرزوقي كما عرفته


 الدكتورأحمد المناعي غني عن التعريف لمن عاش أو عاصر سنوات الجمر في تونس. لكن اذا توجب تقديمه بعجالة لمن لا صلة له بهذه المرحلة من تاريخ تونس،فيكفي القول أنه أول معارض رسمي لزين الدبن بن علي حين كانت الدكتاتورية في اوجها، أي تحديدا منذ بداية الاستبداد سنتين بعد وصول بن علي للحكم لغاية خلعه في أول ثورات ما سمي بالربيع العربي. خاض انتخابات افريل 1989 وضرب أحد أكبر السواكن في تلك الفترة. كان أول من تعرض للإضطهاد السياسي جراء ضربه لهذا الساكن إذ سجن وعذب واضطر لمغادرة البلاد والعيش بالمنفى هو وعائلته. وقد لاحقته ماكنة ارهاب الدولة  في منفاه لتحاول تصفيته إن جسديا أو صوتيا وذلك في مناسبتين على الأقل الأولى بتاريخ 29 فيفري 1969 والثانية بتاريخ 14 مارس 1997. والدكتور المناعي هو أول من نادى بمعية منذر صفر في جانفي 1993 باستقالة بن علي وأسس لهذا الغرض لجنة لنشر الحملة وهو أول من فضح التعذيب الذي يمارسه زبانية بن علي وشهر به في كتاب مدو أصدره سنة 1994 " التعذيب التونسي في الحديقة السرية للجنرال بن علي" ..وفوق هذا كله ورغم مؤهلاته العلمية، وليس أقلها دكتوراه في الاستراتيجيا الاقتصادية، والمناصب التي شغلها صلب منظمة الأمم المتحدة والبنك العالمي والإحترام الذي يكنه له التونسيون ومكانته في المجتمع الأممي نأى بنفسه عن المطامع السياسية التي تدفع بغيره من المتكالبين على السلطة والغنائم لبيع ذممهم دونما حياء. وحتى وإن كان هذا التقديم برقيا لا يجوز أن نغفل عن دور هذا الحقوقي البارز في كشف الحقيقة بخصوص المسألة السورية  حين شغل خطة عضو بلجنة الجامعة العربية للتحقيق في أحداث سوريا وكشف قذارة الحرب التي تشن باسم تحرير سوريا على آخر معاقل القومية والتصدي للتطبيع.
بخصوص الشهادة التي ننشرها في هذا الفضاء نود أن نقول كلمتين لا أكثر: قلما وجد المنصف المرزوقي مساندا وصديقا في حجم الدكتور أحمد المناعي لما كان هذا وذاك في خندق واحد. ولكن كما يقول الشاعر: إن أكرمت الكريم ملكته ..والقارئ سيكتشف  بنفسه ما يصور عجز البيت  في سلوك اللئيم مع الكريم.
كل الشكر للصديق المناعي الذي خصني بسبق النشر لهذه الشهادة التي ستنشر يوم الجمعة 14 نوفمبر بجريدة أخبار الجمهورية.

في شهر أكتوبر من سنة 1981، زارني في بيتي في الوردانين الصديق د. عبد الحميد هاشم الذي عين وقتها رئيس قسم جراحة العظام بكلية الطب بالمنستير. كنت وقتها منشغلا بسجناء "حركة الاتجاه الإسلامي" وناشطا في الدفاع عنهم مع كل من د. حمادي فرحات وعلي الأرناؤوط والطيب قاسم رحمهم الله. سألت عبد الحميد إن كان يعرف من بين زملائه شخصا يساعدنا فيما كنا فيه من مشاغل فنصحني بالدكتور المنصف المرزوقي ونصحني بالاتصال به من طرفه وكان الأمر كذلك والتقيت به على شاطئ بوجعفر سوسة. جلسنا لأكثر من ساعة أشرح له قضية الموقوفين ومشاكل عائلاتهم والرجل غارق في تأملاته، متوجها إلى البحر لا يكاد يشعر بوجودي، ثم فجأة وما إن ذكرت له أني مسافر إلى المغرب حيث كنت أعمل مع البنك الدولي التفت الي وذكر لي أن والده يعيش في المغرب وطلب مني إن كنت مستعدا لأزوره في مراكش وأنقل له رسالة. و كان الأمر كذلك. على مدى عقد الثمانينات لم نلتق مع بعضنا كثيرا. كان ذلك مرتين أو ثلاث على الأقصى، لم تترك لي انطباعا طيبا، فالرجل متعال فظ الطبع لا يعرف وجهه الابتسامة. وفي أفريل من سنة 1991، وقع إيقافي في وزارة الداخلية و بقيت عائلتي لأيام تجهل مصيري. فاتصلت به زوجتي مليكة بصفته رئيس رابطة حقوق الإنسان وكصديق قديم، وطلبت منه فقط أن يستخبر ان كنت حيا أو ميتا.و كان رده أن المئات بل الآلاف هم في وضعي وأنه لا يستطيع عمل أي شيء. بعد خروجي من تونس أواخر شهر ماي، التقيت به في باريس يوم 15 جوان 1991 في ندوة انتظمت في اليونسكو وكان من المفروض أن يلقي فيها كلمة غير انه تراجع عن ذلك ورفض حتى أن يحدثني والتقينا بعد ذلك المرات العديدة ; في ندوة نظمها مركز دراسات ومبادرات التضامن الدولي (CEDETIM) .وأخرى نظمتها شخصيا له بعد إعلانه عن ترشحه للانتخابات الرئاسية لسنة 1994 وكانت فرصة أعلنت فيها عن تنازلي عن ترشحي لفائدته، فقد كنت أعلنت عن ذلك في شهر أوت 1993. وقع إيقافه بعد رجوعه مباشرة إلى تونس، وأعتقد أني أديت واجب المساندة له والتعريف بقضيته، أنا و المرحوم علي السعيدي والمنذر صفر، فقد أسسنا لجنة لمساندته و شهرنا بقمعه وقمع كل الأطراف الحرة وحركنا كثيرا بين المنضمات الحقوقية لأجل مساندته وكثيرا من الصحافيين لأجل التعريف بقضيته. كان المرحوم علي السعيدي بالخصوص يصدر بيانا كلما بلغه أن أحدا ضايق المرزوقي في السوق أو آخر غمزه ... أو حتى ناموسة قرصته. على مدى عقد التسعينات كنت أهاتف للمرزوقي مرة في الأسبوع على الأقل فقد كنت أعرف العزلة القاتلة التي يعيشها، وعندما يكون هاتفه معطلا اتصل بأخيه مخلص. في المقابل لم يحدث أن اتصل بي يوما وحتى عندما وقع الاعتداء علي في يوم 29 فيفري 1996 و14 مارس 1997، لم يتصل بي حتى للمواساة، وإنما ابلغني ذلك أحد أنصاره الذي أصبح مستشاره فيما بعد، وأبلغني أنه صعب عليه مهاتفتي. لم أآخذه على ذلك وواصلت مهاتفته و لقاءه كلما جاء إلى باريس وحضر حفل زواج ابني باديس سنة 1999، وواصلت تقديمه إلى كل معارفي من عرب وأجانب كمرشح المعارضة للانتخابات الرئاسية. وفي نهاية سنة 2000 بعث لي بمخطوط كتاب وطلب مني أن أجد له ناشرا و سعيت إلى ذلك طيلة سنة دون جدوى. يوم 03 جانفي سنة 2001 اتصلت به هاتفيا لأطلعه على ما كان يحدث في تونس انذاك خاصة من احتجاجات طلابية لم يكن يعرف عنها شيء، يومها قال لي شيئا غريبا قال إنه أسعد يوم في حياته فقد اتصل به أحد طلبته القدامى وعبر له عن مساندته في الإجراء التعسفي الذي اتخذته الحكومة ضده . أكثر من ربع قرن من التعليم في كلية الطب ومئات الاطباء الذين تخرجوا على يديه وواحد منهم فقط يعبر له عن تضامنه. كاتبته كثيرا لأجل نصحه خاصة ليتخلى عما كان ينادي به من تغيير للعلم الوطني وتحويل العاصمة من تونس إلى القيروان وغيرهما من الترهات التي أرسى عليها برنامجه السياسي. وعندما جاء إلى باريس أواخر سنة 2001 كنت في انتظاره في المطار عل الرغم من أني كنت حديث عهد بعملية جراحية على القلب. إني أستحي أن أقول ما فعلت معه وبما خدمته لأنني أعتبر أن كل ذلك هو من أجل قضيتنا المشتركة.
بعد ثلاثة أشهر من قدومه إلى باريس طار المنصف المرزوقي إلى واشنطن لكنه رجع منها خائبا فالأمريكان مازالوا وقتها راضين عن بن علي وهم على أية حال لا يراهنون عليه. ففي سنة 2003 انتظمت ندوة في إ
كس آن بروفنس (Aix-en-Provence) وضمت مكونات كثيرة للمعارضة التونسية وكانت الندوة برعاية منظمة مسيحية على غرار ما حدث مع المعارضة الجزائرية في سنة 1995 في روما ولكن الراعي الخفي كانت المخابرات الفرنسية التي أخذت بيدها أمر إعادة هيكلة المعارضة التونسية وكانت تهدف أولا إلى إخراج حركة النهضة من عزلتها وإدماجها مع باقي الفصائل وثانيا تنصيب المرزوقي على رأسها. استمرت الندوة ثلاثة أيام من نقاشات وحوارات ومناورات انتهت بصياغة بيان ختامي غير أن بن جعفر رفض التوقيع عليه فقد كان هو الآخر يطمح إلى الرئاسة إضافة الى أنه كان خائفا من ردة فعل النظام عند رجوعه. في سنة 2008 و قع المرزوقي على رسالة إلى أوباما صاغها رضوان المصمودي لمطالبته بالتدخل في العالم العربي لإحلال الديمقراطية. كانت هذه المناشدة بداية التحضيرات لما سيسمى بالربيع العربي فيما بعد وهي أيضا السنة التي فتحت فيها قناة الجزيرة أبوابها لتوظيف الحابل والنابل من أتباع النهضة. كنت آنذاك قد قطعت كل اتصال بالمرزوقي منذ سنة 2003 لتصرفاته الرعناء و سلاطة لسانه وأنانيته ونرجسيته المفرطة. ومن عشرات المواقف المستهجنة أذكر اثنين فقط . أولهما الآتي فبعد استقبالي له في المطار اتفقنا على لقاء أقدم له فيه صديقة جزائرية أستاذة اقتصاد في جامعة باريسية وناشطة في جبهة القوى الاشتراكية الجزائرية. وصل المرزوقي في الموعد وسلمت عليه ودعوته للجلوس إلا أنه ظل واقفا ووضع يديه على الطاولة وقال لي هيا لتأتي معي. فقلت له إلى أين ونحن على موعد مع السيدة – وكانت جالسة على طاولة محاذية - فقال لي لتأتي معي إلى حزب المؤتمر. فاستشطت غضبا وقلت له حتى لو جئت تراود بائعة هوى وجب أن تعاملها باحترام. وقفل راجعا وأنا أذكره بموعدنا مع السيدة. أما الحادثة الثانية فقد وقعت في ندوة انتظمت بداية سنة 2003 بضواحي باريس. فبعد فترة الأعمال الصباحية تحول الحاضرون إلى المطعم و كنت أحمل طبقي وابحث عن كرسي شاغر فرأيت واحدا مقابل المنصف المرزوقي فقصدته كارها فسلمت و جلست و بدأنا الحديث عن الأوضاع في تونس وفي لحظة ما وصل الحديث عن الأمن ، كان يزبد ويرعد عن البوليس السياسي
والأمن فقلت له بكل لطف سي المنصف الامن ضروري في كل مجتمع وتحت أي نظام فقام من كرسيه غاضبا  وأخذ طبقه وتحول إلى طاولة أخرى قائلا لي بغضب "أنت تحب الأمن اقعد فيها أنت وأمنك" . ولعل البعض يذكر كيف أنه في 1 جانفي 2012 قدم تهانيه كرئيس دولة إلى كل الأسلاك المدنية  والعسكرية و استثنى منها الأمن وتدارك أمره في اليوم التالي بعد موجة الاحتجاجات. وبعد لقد حاولت على مدى سنوات استدراج المنصف المرزوقي للحوار الجدي حول البديل الذي يتصوره وتنبيهه إلى خطورة التفكير والسعي لإسقاط النظام وإحداث فراغ دستوري في غياب بديل جاهز وقادر على تحمل مسؤوليات الدولة ولكنه ظل وفيا لمزاجه المشاغب وطبعه الثورجي وهو دور أتقن لعبه. تعودت ألا أحفظ عمن عرفته وحتى من أساؤوا إلي منهم إلا أفضل ما فيهم ولكنني عجزت أن أجد شيئا من ذلك عنده. فما وجدت عنده إلا الجحود والأنانية والصلف و سلاطة اللسان والكذب. ومن كذبه ما ألفه هو وأزلامه في شخصي و في شخص ابني في كتابه الأسود مدعيا أنها من أرشيف وكالة الإعلام الخارجي ومن شاء أن يطلع على المستوى الأخلاقي المنحط لما ذكره فيه فليرجع إلى الكتاب الأسود صفحة 303 و 304. أهدي هذه الورقة إلى بعض رفاقه في حزبه من اللذين أصبحوا وزراء ومستشارين في دولته والذين كانوا يأتونني متذمرين من رئيسهم ومعاملته السيئة لهم ودكتاتوريته مما أدى إلى بقاء أربعة من المؤسسين فقط سنة2011 من جملة 31 عند تأسيس الحزب في سنة 2001.


أحمد المناعي

 8- 11- 2014
  
ترجمة فرنسية

Marzouki tel que j'ai connu - Par Ahmed Manai

للدكتور المناعي على هذه المدونة:

Marzouki s'est tu au moment où il devait parler (par Dr Ahmed Manai)

La liberté d’expression et la responsabilité de l’intellectuel musulman

Marzouki est justiciable pour ses crimes en Syrie


Marzouki tel que j'ai connu - Par Ahmed Manai

Dr Ahmed Manai se passe de présentation pour ceux qui ont vécu les années de braises tunisiennes, ou en savent l'histoire. Mais s'il faut le présenter quand même, et de façon succincte pour introduire le témoignage ci-dessous, nous dirons que cet agronome et expert international auprès de l'ONU est le premier opposant déclaré de Ben Ali. Pour s'être présenté aux élections d'avril 1989 et avoir transgressé un tel tabou politique, il était devenu l'ennemi public numéro 1 du dictateur déchu. Torturé, emprisonné, traqué en exil, tabassé à maintes reprises par les sbires du palais de Carthage, menacé de mort lui et sa famille, en janvier 1993 il a créé avec Mondher Sfar le Comité tunisien d'appel à la démission de Ben Ali. Un an plus tard, il a publié Supplice Tunisien - Le jardin secret du général Ben Ali, livre dans lequel il a dénoncé la torture et les persécutions ciblant les opposants au dictateur.

Le témoignage ci-dessous, qui paraitra en arabe au journal Akhbaraljoumhouria le vendredi 11 novembre 2014, tout en rappelant les circonstances dans lesquelles Manai a pu connaître de près Marzouki, éclaire la personnalité pour le moins paranoïaque de ce dernier.

Merci à mon ami Dr Ahmed Manaï de m'avoir accordé l'exclusivité de sa publication et sa traduction en français sur ce blog.



Au mois d'octobre 1981, l'ami Dr Abdelhamid Hachem, nommé  Chef du Département de Chirurgie Orthopédique à la Faculté de Médecine de Monastir, m'a rendu visite à ma maison à Ouardanine. Je m'occupais alors des prisonniers du mouvement  de la Tendance Islamique (ndt: acuelle Ennhdha) et je militais activement pour leur défense avec feus Dr Hammadi Farhat, Ali Arnaout et Taieb Kacem.

J'ai demandé à Taieb Kacem s'il connaissait personnellement parmi ses amis quelqu'un pouvant nous aider dans ce qui nous préoccupait. Il m'a recommandé Dr Moncef Marzouki et m'a conseillé de le contacter de sa part. J'ai agi en conséquence et j'ai rencontré Marzouki à la plage Boujaâfar à Sousse.
Nous nous sommes assis pour plus d'une heure; et alors que je lui expliquais l'affaire des détenus et les problèmes de leurs familles, l'homme était absorbé par ses méditations, la face tournée à la mer, à peine conscient de ma présence. Puis, subitement, lui ayant dit que j'allais bientôt partir au Maroc où je travaillais à la B.I (Banque Internationale), il s'est tourné vers moi et m'a dit que son père vivait au Maroc. Puis il m'a demandé si je pouvais lui rendre visite à Marrakech pour lui transmettre une lettre, ce que j'ai accepté.

Tout au long de la décennie des années 80, nous ne nous sommes pas rencontrés beaucoup, deux ou trois fois tout au plus, qui ne m'ont pas permis de garder de lui de bonnes impressions. C'était un homme hautain, grossier, dont le visage ne savait jamais sourire.
En avril 1991, j'ai été arrêté au ministère de l'intérieur et ma famille est restée plusieurs jours dans l'ignorance de mon sort. Ma femme Malika a alors contacté Marzouki en sa qualité de président de la LDH (Ligue des droits de l'homme) et ancien ami. Elle lui a demandé de s'enquérir seulement si j'étais vivant ou mort. Il lui a répondu qu'il y avait des centaines de cas, voire des milliers, comme moi et qu'il ne pouvait rien faire.
Après avoir quitté la Tunisie fin mai, je l'ai rencontré à Paris le 15 juin 1991, en marge d'un colloque organisé au siège de l'Unesco. Il devait y faire une allocution mais il y a renoncé. Et il a refusé de m'adresser même la parole.
Nous nous sommes rencontrés plusieurs fois par la suite. Dans un symposium organisé par le CEDETIM (Centre d'études et d'initiatives de solidarité internationale), dans un autre organisé par moi personnellement au lendemain de l'annonce de sa candidature pour la présidentielle de 1994. Et j'ai saisi cette occasion pour déclarer mon désistement en sa faveur, comme je l'avais annoncé au mois d'août 1993.
Quand il fut arrêté après son retour en Tunisie,  je crois m'être acquitté de mon devoir de soutien et de sensibilisation à sa cause, moi, feu Ali Saïdi et Mondher Sfar. Nous avons constitué un comité de soutien et dénoncé sa persécution et la persécution de toutes les parties libres. Nous avons fait agir plusieurs organisations des droits de l'homme pour le soutenir et mobilisé beaucoup de journalistes pour faire connaître sa cause. Le défunt Ali Saïdi surtout n'a pas manqué de faire des communiqués chaque fois qu'il apprenait que quelqu'un a harcelé Marzouki au souk ou lui a fait un clin d’œil, ou même qu'un moustique l'a piqué !

Dans les années 1990, il ne se passait pas une semaine sans que je ne téléphone à Marzouki, sachant l'isolement mortel dans lequel il vivait. Quand son téléphone ne répondait pas, c'était à son frère Mokhles que je téléphonais. En contrepartie, jamais une fois il ne m'a téléphoné, pas même quand on m'a agressé le 29 février 1996 et le 14 mars 1997. Il ne m'a même pas contacté pour une simple consolation. L'un de ses partisans devenu plus tard son conseiller m'a appris qu'il lui serait difficile de me téléphoner. Je ne lui en ai pas voulu pour autant et j'ai continué de lui téléphoner et de le rencontrer chaque fois qu'il venait à Paris. En 1999, il a assisté au mariage de mon fils Badis. Et je l'ai présenté à toutes mes connaissances, arabes ou non arabes, comme le candidat de l'opposition aux élections présidentielles.

A la fin de l'année 2000, il m'a envoyé un livre manuscrit et m'a demandé de lui trouver un éditeur. Je m'étais démené à chercher durant un an cet éditeur mais sans succès.
Le 3 janvier 2001, je l'ai contacté par téléphone pour le mettre au courant de ce qui se passait en Tunisie, en particulier les protestations estudiantines dont il ne savait rien. Ce jour-là, il m'a confié quelque chose de bizarre. Il m'a dit que c'était le jour le plus heureux dans sa vie car l'un de ses ex-étudiants l'a contacté et lui a exprimé sa solidarité suite à la mesure arbitraire prise par le gouvernement contre lui. Plus d'un quart de siècle d'enseignement à la faculté de médecine, des centaines de médecins diplômés formés par lui, et un seul lui exprime son soutien !

Je lui ai écrit à plusieurs reprises pour le conseiller en particulier au sujet de son appel à changer le drapeau national, à transférer le siège de la capitale de Tunis à Kairouan et d'autres galéjades sur lesquelles il a fondé son programme politique.
A sa venue à Paris à la fin de 2001, quand bien même j'étais fraichement opéré j'ai été à son accueil à l'aéroport. Et je ne saurais dire tout ce que j'ai fait pour lui car je considère ces actions faites pour notre cause commune.

Trois mois après son arrivé à Paris, Moncef Marzouki s'est envolé à Washington mais en est revenu déçu. A l'époque, les Américains étaient encore satisfaits de Ben Ali et, dans tous les cas, ne pariaient pas sur Marzouki.
En 2003, un colloque s'est organisé à Aix-en-Provence avec la participation de nombreuses composantes de l'opposition tunisienne. Le colloque était parrainé par une organisation chrétienne, à l'exemple de ce qui s'était produit à Rome avec l'opposition algérienne en 1995. Mais le vrai parrain était en fait les Renseignements français qui ont pris en main la restructuration de l'opposition tunisienne. On visait d'abord à faire sortir de son isolement le mouvement Ennahdha pour l'intégrer aux autres factions. Et nommer ensuite à la tête de cette opposition Marzouki. Le colloque a duré trois jours au cours desquels on a délibéré, discuté, manœuvré, puis s'est couronné par une déclaration finale. Toutefois, Ben Jaâfar a refusé de la signer car il ambitionnait lui aussi la présidence et avait peur de la réaction du régime à son retour.
En 2008, Marzouki a signé une lettre adressée à Obama, rédigée par Radhouan Masmoudi,  demandant à l'administration américaine d'intervenir dans le monde arabe pour y instaurer la démocratie.   Cet appel initiait les préparatifs de  ce qui sera appelé le printemps arabe, coïncidant avec l'année où la chaine de télévision Al-Jazeera a ouvert ses portes pour embaucher pêle-mêle les partisans d'Ennahdha.

J'ai rompu tout contact avec Marzouki depuis 2003, et ce pour ses agissements inconsidérés, sa langue de vipère, son égoïsme et son narcissisme outré. De ses innombrables attitudes répréhensibles, je vais citer deux seulement.
La première, c'était après l'avoir reçu à l'aéroport. Nous avons convenu d'un rendez-vous pour lui présenter une amie algérienne, professeure d'économie dans une université parisienne et militante au sein du FFSA (Front des forces socialistes algériennes). Marzouki est arrivé au rendez-vous. Je l'ai salué et prié de s'assoir. Mais il est resté debout. Puis mettant à plat ses mains sur la table, il m'a dit à brûle-pourpoint:" allons, viens avec moi !"
- Où aller, lui dis-je, alors que nous sommes en rendez-vous avec la dame?" Celle-ci était assise à une table voisine.
- Tu vas venir avec moi vers le CPR (Congrès pour la république)".
Très désappointé, je lui ai lancé:" même si tu étais venu pour braconner une prostituée, tu devrais traiter celle-ci avec respect."
Il est parti sur-le-champ alors que je lui rappelais notre rendez-vous avec la dame.
La deuxième, c'était au cours d'un colloque organisé au début de l'année 2003 à Paris. A la fin de la séance matinale, les participants ont quitté la salle des travaux pour le restaurant. Alors que je tenais mon plateau et cherchais une chaise vide, j'en ai vu une à la table occupée par Marzouki. C'était juste en face de lui et j'ai dû y aller m'assoir à contrecœur. Je l'ai salué et nous avons commencé à parler de la situation en Tunisie. A un moment donné, nous avons évoqué la sécurité. Et parlant de la police politique, il s'est mis à baver et postillonner.
Je lui ai dit en toute politesse:" Si Moncef, la sécurité est indispensable dans toute société et sous n'importe quel régime." Il a quitté alors sa chaise, furieux, pris son plateau et est allé s'assoir à une autre table en me disant, rageur: " puisque tu aimes la sécurité, reste là avec ta sécurité !"
Sans doute certains se souviennent-ils comment, le 1er janvier 2012, il a présenté ses vœux de chef d'Etat à tous les corps civils et militaires mais omis le corps sécuritaire. Le lendemain, il a été contraint de se rattraper suite à la vague de protestations.
J'ai tenté, pendant des années, d'inciter Marzouki au dialogue sérieux concernant l'alternative qu'il envisage et de le prévenir contre le danger de penser et d’œuvrer à faire tomber le régime et causer un vide constitutionnel faute d'alternative prête et capable d'assumer les charges de l'Etat. Mais il est resté fidèle à son tempérament turbulent et sa nature révolutionniste, rôle dont il maîtrise le jeu.
Je me suis habitué à ne garder de ceux que j'ai connus, y compris ceux qui m’ont fait du mal, que le bon côté. Mais je suis incapable de trouver ce bon côté chez lui. En lui je n'ai trouvé que l'ingratitude, l'égoïsme, l'arrogance, la langue vipérine et le mensonge.
Parmi ses mensonges, ce qu'il a répandu lui et ses nervis sur moi et mon fils dans son livre noir, en prétendant s'appuyer sur les archives de l'ATCE (Agence Tunisienne de Communication Extérieure).
Je dédie ce papier à certains de ses camarades du parti, de ceux qui sont devenus ministres et conseillers dans son Etat et qui venaient me voir pour se plaindre de leur président, de sa mauvaise conduite à leur égard, ce qui a fait que 4 fondateurs seulement sont restés en 2011 des 31 que comptait le parti à sa fondation en 2001.

samedi 8 novembre 2014

Lumière au bout du tunnel, par Amina Bettaieb

Comment expliquer mon émotion esthétique face à ce tableau?

Peinture d'Amina Bettaieb
Mais à quoi bon expliquer l'émotion d'abord ? Le Beau n'a pas besoin de mots pour se faire valoir ni voir. Son pouvoir intrinsèque, souverain, l'assure de la magie inouïe qui y fait mordre tout œil émotif, sensible, généreux.

La première impression qui se dégage de cette toile est la chaleur. Non seulement de la palette des couleurs, étouffante ! mais de l’atmosphère ambiante qui enveloppe ce beau brin de fille rêvant. Tout est chaud dans ce tableau. Même le regard triste et distrait de la belle rêveuse semble consumé dans le halo des teintes dorées, rougeâtres, orangées, grenadines qui procèdent du champ chromatique du feu.

Le décolleté ne peut que rajouter à telle impression. Le verre pareillement. De même que les cheveux en chignon et, en arrière plan, comme une mise en abyme, ou la bulle d'une vignette de bande dessinée qui éclaire une pensée, ce tableau dans le tableau, riche, opulent en évocations.

Le livre ouvert mais délaissé au profit de la rêverie, le verre plein et si alléchant mais boudé par les lèvres vermeilles, semblent connoter tout autant la soif spirituelle que la soif physique. Toutes deux capables de se désaltérer mais paraissant "en mal de force apéritive". Sans doute parce que la vraie substance désaltérante se trouverait ailleurs. Dans cette chose qui habite et taraude la tête, l'appesantit un peu et lui donne ce regard fixe abimé dans l'ailleurs.

Le violet et les teintes froides, comme des nuages qui surplombent la tête, semblent dire qu'on a beau être jeune et beau, c'est du noir qu'on broie. Mais pourquoi broyer du noir?

Parce que le Beau ne respire ni ne s'épanouit entre quatre murs, serait-il pourvu de toutes les commodités nécessaires à son confort.
Et c'est ce qui semble faire la force suggestive du tableau dans le tableau, incrusté à l'angle droit, à hauteur du front appesanti et incliné.

Au bout d'un tunnel ou d'une porte ouverte (la symbolique serait quasiment la même), une femme apparemment dans son élément, vue de dos mais pas moins coquette, qui jouit de la mobilité au grand air, en plein soleil. Et qui, tout en tournant le dos à un espace clos, ou un passé sombre, esquisse un pas vers l'avant et ouvre grand ses bras comme pour étreindre l'horizon. Le vent qui soulève sa robe, ou sa jupe, et l'eau de mer qui tempête autour d'elle, semblent traduire la symbiose entre la chair féminine vivante et les quatre éléments qui s'offrent à elle dans toute leur exubérance.

Ce petit tableau incrusté dans la toile est un peu comme la fenêtre dans l'univers de Madame Bovary. Ou de toute vie qui languit dans telle ou telle prison. C'est également, dans une optique en rapport avec le taoïsme et les pratiques méditatives, le troisième œil, celui de la connaissance de soi.

A. Amri
8.11.14

 Sur le même sujet:

Amina Bettaieb: portraitiste de la révolution

Damnés de la guerre syrienne



En 2012, cette famille de Kurdes syriens originaires de la ville d'Alep quitte son pays pour se réfugier en Libye.

Pour Hassan Youssef Wahid, médecin, sa femme Manal Hachache et leurs quatre fillettes dont l'ainée n'a que 10 ans(1), comme pour tant de milliers de Syriens condamnés à s'expatrier dans l'espoir de trouver quelque part un havre de salut, c'est l'énième tranche de tribut à payer à cette guerre dont les principaux acteurs sont surtout des non Syriens: les jihadistes de l'internationale islamiste et leurs bailleurs de fonds qataro-saoudiens.

Quand ils débarquent en Libye, les Youssef Wahid croient avoir laissé loin derrière eux la mort et la destruction. Cependant ils déchantent vite car non seulement la Libye elle-même est livrée à une guerre civile, mais certaines de ses factions armées veulent y faire en parallèle une autre guerre, leur sainte guerre islamiste anti-Bashar.
Kurdes et ne pouvant passer que pour des pro-Bashar, Hassan Youssef Wahid et sa famille s'aperçoivent vite qu'ils n'ont fait que fuir la goutte pour tomber sous la gouttière. Malgré les éminents services qu'il est censé rendre à un pays où pour se soigner beaucoup de gens sont souvent obligés de traverser les frontières, le médecin syrien est harcelé par des menaces directes de mort. Puis sauvagement passé à tabac. Il décide alors de fuir le plus tôt possible, soit vers l'Egypte soit vers la Tunisie.

"J’ai essayé d’aller en Égypte, confie-t-il à des militants d'Amnesty, mais ils ont fermé leurs frontières aux Syriens. J’ai fait une demande de visa pour la Tunisie, mais elle a été rejetée. J’ai demandé un visa pour Malte, mais il m’a été refusé aussi. Alors, à ce stade, ma seule option était la mer." (2)

Acculé à se jeter avec sa famille dans la mer, Hassan Youssef Wahid a payé 4500 dollars pour la traversée qui devait le conduire avec les siens au "havre de salut". Le passeur qui l'a ainsi écorché lui a assuré que l'embarcation serait un navire à passagers, et non un bateau de pêche. Mais au jour "J", dans la nuit du 11 octobre 2013, le médecin et sa famille découvrent que non seulement le navire est un chalutier de pêche, mais ce chalutier est de surcroit vétuste. Quand on a tant attendu un moment aussi crucial, une opportunité aussi prometteuse, il serait difficile de puiser en soi assez de courage pour faire marche-arrière. Bon gré mal gré, s'est dit le médecin, il faut se résigner à ne pas rater le coche. D'autant que le sentiment de communauté, les quelque 500 passagers, pour la plupart syriens, qui se bousculent en la circonstance pour se jeter encaqués dans le chalutier, ne pourraient inciter qu'aux réactions suivistes.

Quelques heures après l'appareillage, l'enfer syro-libyen ne semblait pas vouloir tenir quittes ses fugitifs, qui s'acharnait à les talonner jusque au large de la mer. Le chalutier est poursuivi par un hors-bord armé qui le somme de s'arrêter. En pareille circonstance, le réflexe de tout passeur qui s'adonne à un trafic aussi juteux est d'agir au vu des risques supputés. Avec un demi-millier de passagers servant de boucliers humains, à supposer que les éléments armés du hors-bord seraient une autorité marine légale, le risque de se faire tirer dessus est minime. Mais il faut remarquer aussi que depuis la chute de Kaddhafi, il n'y a plus d'Etat en Libye, à supposer que tel Etat ait existé par le passé. Et le capitaine du chalutier savait que s'il s'arrêtait, il devait lui et ses passagers payer une lourde rançon aux éléments armés, ceux-ci, même en uniformes, étant plus pirates que véritables agents d'autorité libyenne probe. Malgré les rafales de coups de feu en l'air, le capitaine a refusé d'obtempérer. Et ce qu'on estimait peu probable en raison des boucliers humains s'est produit. Le chalutier a subi un feu nourri ciblant son corps comme ses passagers, avant que le hors-bord ne se décide à abandonner sa poursuite et rebrousser chemin. L'attaque a fait trois blessés parmi les passagers et causé de sérieux dommages à la coque du chalutier.

A partir de ce moment, alors même que le chalutier continuait de naviguer, pour tous les passagers le naufrage se profilait inévitable. D'autant que le temps tournait à l'orage et que l'eau commençait à monter à l’intérieur du bateau. En dépit de l'assistance d'une autre embarcation à laquelle le capitaine a confié quelques passagers dont les quatre fillettes du couple Youssef Wahid, l'issue tragique ne pouvait être conjurée. Il semble même que ce transfert de passagers, outre son insuffisance à contrecarrer la tragédie, ait condamné au même péril l’embarcation secourable. Déjà assez surchargée, celle-ci s'en trouvait désormais dans le même pétrin.

S'en est suivie pour quelque temps, et sur les deux embarcations, une lutte acharnée afin de pomper l'eau pour les uns et résister aux coups de vent et à l'assaut des vagues pour les autres. Mais le nombre très élevé de passagers a fini par condamner au chavirement le premier bateau. Et comme un malheur n'arrive jamais seul, presque dans les minutes qui ont suivi l'autre embarcation a subi le même sort.

Inestimable aubaine toutefois pour la cinquantaine de personnes qui réchapperont à la noyade: au moment précis où le premier bateau coulait, un hélicoptère providentiel est passé au dessus des naufragés. Les ayant immédiatement repérés, l'hélicoptère a alerté les autorités maltaises et italiennes.

Deux heures plus tard alors que la nuit tombait et que les vagues le poussaient loin des embarcations sinistrées, Hassan Youssef Wahid est secouru par les garde-côtes maltais. Un ami connu en Libye et repêché par la même équipe de secouristes lui a dit qu'il avait vu l'une de ses filles à bord d'un bateau de sauvetage. La description donnée correspond à Sherihan âgée de 8 ans. « Elle m’a appelé, dit-il, et demandé si j’avais vu son père. Je lui ai répondu de ne pas s’inquiéter et que papa viendrait la chercher. » (3)

Quelques jours plus tard, de toute sa famille frappée par cette catastrophe, Hassan Youssef Wahid ne retrouvera que sa femme, sauvée par les garde-côtes italiens. Aujourd'hui, le couple vit en Suisse où il est en passe de bénéficier du statut de réfugiés. Et malgré une année de vaines recherches par l'intermédiaire de la Croix-Rouge en Malte et en Italie, ce couple est incapable de faire son deuil de ses enfants. Il s'accroche encore à la faible lueur d'espoir suscitée par cet homme qui aurait vu saine et sauve l'une de leurs filles.


A. Amri
8.11.14



Notes:
1- Randa, Sherihan, Nurhan et Kristina, respectivement âgées de 10 ans, huit ans, six ans et deux ans.

2- Le récit d'un père qui a perdu ses quatre filles

3- Ce même témoin précise: "elle a huit ans et elle a perdu ses dents de devant. Elle a le teint plus foncé que ses sœurs": c'est à la lumière de ces éléments que l'identification de Sherihan par son père est établie.

jeudi 16 octobre 2014

Al-Atlal - Brahim Naji

Al-atlal: extrait avec sous-titrage français.



Al-Atlal (les Ruines) est sans doute la meilleure chanson d'Oum Kalthoum. La plus aboutie tant au niveau de sa facture poétique qu'au niveau de sa composition musicale. Mais elle serait aussi, aux yeux de nombreux critiques musicaux, la meilleure chanson arabe du 20e siècle. Cette consécration critique semble corroborée, à l'échelle des pays arabes (1), par les chiffres liés à la vente de la chanson, comme de son passage à la radio depuis sa première interprétation en 1965.

Comment expliquer l'engouement arabe pour cette chanson ? Le génie artistique suffit-il à expliquer cet immense succès qui, plus d'un demi siècle après la sortie de la chanson, ne semble pas près de s'affaiblir?

Il serait difficile d'admettre qu'un tube de cette longévité ait pu perdurer seulement pour sa valeur exclusivement artistique.  Si la dimension tarabienne (2) s'impose fortement tout au long de cette chanson dont la durée est d'une heure, il ne serait pas aisé d'en attribuer la force transcendante (agissant sur deux générations) au seul pouvoir des mots (3). Pas plus qu'au seul génie conjugué du poète, du compositeur et de la cantatrice. A notre sens, le succès énorme et durable de la chanson s'expliquerait surtout par l'équivocité ad hoc de certains vers, consécutive à leur interprétation par une voix féminine.  Sous l'ascendant artistique d'Oum Kalthoum, la Quatrième-Pyramide-d'Egypte, l'Astre-Resplendissant-de-l'Orient, le public qui entend "Oh, rends-moi ma liberté, délie-moi les mains", interprète ce passage non comme l'expression d'un damné masculin de l'amour, repenti, ou feignant le repentir, mais comme une revendication féministe d'émancipation. Ce quiproquo, associé à d'autres passages interprétés comme apologétiques de l'ivresse et de l'épicurisme, a donné au poème une autre lecture, pas conforme au discours initial du poète, plaçant le lyrisme du texte et son apparence transgressive sous l'autorité exclusive de la chanteuse. Et comme les moyens rhétoriques de la langue (4) assurent au jeu des pronoms la neutralité du sexe, dans l'esprit de l'auditeur non averti, le locuteur et la chanteuse se confondent aisément, tout comme l’allocutaire et le public masculin qui s'y verrait interpellé. 

Dans quel contexte la chanson Al-Atlal a-t-elle été écrite?

Brahim Naji(5) aurait écrit ce poème au milieu des années 1930. Néanmoins la genèse de Al-Atlal remonte à 1911, date à laquelle le poète a juste 13 ans. L'adolescent vit alors au quartier cairote de Chabra. C'est un collégien brillant et très doué en matières scientifiques. Mais il est également passionné de littérature et de langues étrangères. Son père, employé aux PTT et maîtrisant l'anglais, le français et l'italien, lui a transmis cet amour des Belles lettres à travers une riche bibliothèque pourvue des meilleurs auteurs de la littérature arabe et mondiale. C'est vers cet âge qu'il commence à écrire ses premiers vers. Il en doit l'inspiration à une jeune fille rencontrée au collège, dont il s'est épris. A cette muse, à cet amour dont il ne guérira jamais, des années plus tard il devra Al-Atlal (les Ruines). Et sans doute aussi, ses meilleurs poèmes d'amour (6).

En 1916, Brahim Naji est bachelier et il opte pour des études de médecine à l'EMS (Ecole de Médecine Sultanale), l'actuelle faculté de médecine à l'Université du Caire. Il en sort médecin en 1923 et ouvre un cabinet à la place cairote Al-Ataba. Entretemps, il perd de vue la bien-aimée. Mais il ne peut que s'attacher davantage à elle. Puis, un beau jour, il apprend qu'elle s'est mariée. Rude épreuve pour le jeune médecin, laquelle va marquer de son sceau indélébile, jusqu'à sa mort, le poète romantique du groupe Apollo.

Bien des années plus tard au milieu de la nuit,  alors que Brahim Naji dort, quelqu'un est venu frapper à sa porte.  C'est un homme en détresse venu demander l'assistance du médecin pour sa femme qui a des difficultés d'accouchement. Le médecin prend sa mallette et le suit. Une fois arrivé à destination, surprise inimaginable: il découvre que la patiente à assister n'est autre que sa dulcinée. Malgré la forte émotion, il l'aide à accoucher dans les meilleures conditions. Et sitôt rentré chez lui, d'un seul jet d'encre il écrit Al-Atlal. Cent vingt-cinq vers (l'équivalent de 250 français) encrés dans la fièvre succédant à cette circonstance de brèves retrouvailles et d'adieux définitifs.

Brahim Naji est mort en 1953 des suites d'un accident de la route. De son vivant, il voulait que Kawkeb Acharq (l'Astre de l'Orient) interprète son poème Al-Atlal. Il le lui a proposé à plusieurs reprises; mais son vœu ne sera exaucé que de façon posthume, en 1965. Deux raisons seraient derrière cette interprétation tardive. D'abord, il semble que Oum Kalthoum n'ait pas voulu contrarier Ahmed Rami, son principal parolier qui ne voulait pas que la cantatrice honore des poètes vivants, excepté lui. Mais comme Oum Kalthoum avait déjà dérogé à cette "loi" par trois fois au passé, elle a fini par se décider à y déroger une quatrième fois pour le talent de Brahim Naji. Elle a confié à Riadh Sumbati le poème (8) pour le mettre en musique. Le compositeur, trouvant le texte long, en a sélectionné une partie à laquelle il a ajouté des vers d'un autre poème de Naji: الوداع al wadaâ [L'Adieu], texte également dédié à la même femme aimée. Au moment où le titre est fin prêt pour être chanté, la révolution des Officiers Libres, intervenue en 1952, a contraint Oum Kalthoum d'en remettre à une date ultérieure l’interprétation. Finalement, c'est treize ans après la mort de son auteur que Al Atlal est interprétée pour la première fois par Oum Kalthoum.

Les Ruines (traduction)

Mon cœur, ne cherche pas où l'amour est parti
ce beau château de chimères s'est écroulé
Sers-moi à boire et portons un toast à ses ruines
puis, tant que les larmes ne seront pas taries,
dis pour moi comment tel amour est devenu
dits du passé et pâture à mélancolie


Brahim Naji

 Oh, je ne t'oublie pas, toi qui m'as fascinée
 d'une bouche voluptueuse au doux bagou
d'une main vivante qui se tendait vers moi
comme vers un naufragé la main secourable
et d'un phare hélant le voyageur de nuit
Où est donc passé un tel éclat dans tes yeux?



Amant dont j'ai visité un jour le buisson
comme un désir ailé ramageant mon mal
il me tarde de te voir à en perdre le nord
et donner tort au Ciel qui décide de tout
mon mal de toi me brûle, torride, les côtes
et les secondes sont des braises dans mon sang

Oh, rends-moi ma liberté, délie-moi les mains
J'ai tout donné, ne conservant plus rien pour moi
oh, que je saigne dur des poignets sous tes fers !
pourquoi garder sur moi des chaines qui me tuent?
Des attaches dont toi tu t'es délié?
Pour quand encore ce joug au détriment de la vie?

Oum Kalthoum dans sa jeunesse
Où est-il passé l'amant autrefois charmant
noble et majestueux, galant homme d'honneur
qui marchait, le pas sûr, d'une allure royale
beau à faire chavirer et d'orgueil ragoûtant
alors que son haleine fleurait bon les monts
et son doux regard mirait les rêves du soir ?




Où est donc cette alcôve où tu m'étais lumière
tentation qui me lézardait par ses éclairs
tandis que moi j'y étais corps et cœur perdus
créature aux abois de sa sœur s'approchant
alors que le désir nous tenait de courtier
Riadh Sumbati
et de commensal servant à chacun son verre ?

L'amour a-t-il vu fin souls comme nous ?
Que de belles chimères nous nous sommes repus !
Combien nous avons marché au clair de la lune
cependant que la joie dans nos cœurs gambadait !
Que de fois nous avons ri comme des enfants
et couru au point de devancer notre ombre !

Le nectar fini, nous avons rouvert les yeux
quel amer réveil dont nous nous serions passés !
Il nous a dégrisés et confisquant nos rêves
jeté chacun de nous dans sa nuit solitaire
la lumière nous est devenue si funeste
que l'aurore s'annonce comme un incendie
et la vie désormais est pareille au désert
où chaque amant de son côté va son chemin

Oh, toi damné des nuits blanches qui t'assoupis
et te réveilles, pendu au passé défunt
Dès que se referme dans ton cœur
le souvenir lancinant rouvre grand une autre
Oum Kalthoum, portrait
Mon bien-aimé, tout est affaire de destin
Ce n'est pas à nous d'imputer notre malheur
Peut-être est-il écrit que nous nous revoyions
un jour que nous aurons fini de galérer
mais si l'amour apostasie alors son âge
si nous nous croisons comme des étrangers
nous entêtant à errer chacun dans sa voie
n'en veux qu'à la malchance qui l'aura voulu.


Al Atlal (intégrale, mais sans sou-tirage fr)

Paroles: Brahim Naji
Musique: Riadh Sumbati
Interprétation: Oum Kalthoum
Traduction: A.Amri
16.10.2014


 
  

  






Notes:

1- Bien des années après sa mort en 1975, en tant qu'industrie musicale (cassettes, DVD, CD) Oum Kalthoum n'a pas concédé sa première place aux marchés des ventes, que ce soit au Machrek ou au Maghreb arabes.

2- Tarab طرب est un terme qui désigne l’émotion poétique et musicale suscitée chez l'auditeur par l'écoute d'une chanson, dont le succès ou l'échec de celle-ci est tributaire.
Pour plus de détails, consulter cet article.

3- Sans vouloir minimiser le talent du poète ni l'impact du sentiment des ruines sur le public arabe (le romantisme local remonterait chez les Arabes à la Jahilya, période préislamique), peut-être serait-il judicieux de remarquer ici que l'auteur de ce poème, Brahim Naji, a été très mal apprécié à la sortie de son premier recueil de poésie. Taha Hussein et Al-Akkad, entre autres, l'ont sévèrement critiqué et le poète a songé un moment à répudier définitivement l'écriture poétique.

4- A titre d'exemple, dans l'arabe littéraire mais aussi dans tous ses dialectes, l'euphémisme permet de dire "habib حبيب bien-aimé " pour désigner l'homme ou la femme. Par analogie, la poétesse qui fait permuter "habiba" à "habib" use du même procédé.

5- Médecin, poète et traducteur égyptien (31 décembre 1889- 25 mars 1953), il a fait partie du groupe Apollo, école littéraire arabe fondée en 1932 au Caire et développant une écriture à mi-chemin entre le romantisme et le symbolisme. En tant qu'auteur, il a publié 4 recueils de poésie et un recueil de nouvelles. En tant que traducteur, il a traduit à partir de la version anglaise Crime et Châtiment (Dostoïevski), plusieurs poèmes français (Alfred de Musset et Baudelaire) et plusieurs poèmes de Thomas Moore.
Wikipédia lui attribue la traduction, à partir de l'italien, d'un roman intitulé "Mort en congé". Mais sans mentionner l'auteur dudit roman.

6- Il lui doit aussi une nouvelle, la nouvelle éponyme de son recueil La Cité des Rêves مدينة الأحلام .
 
7- Le vers arabe classique est un distique en bonne et due forme, composé de deux hémistiches séparés d'un blanc en guise de césure.

8- Oum Kalthoum et Riadh Sumbati ont fait des coupes pour étoffer la mouture originale. De même, ils y ont inséré une strophe extraite d'un autre poème de Brahim Naji, intitulé l'Adieu الوداع .

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