samedi 13 août 2016

La Tunisie est-elle un Etat voyou ?


A l'heure où notre économie est au plus mal, à l'heure où le pays appelle de tous ses vœux les capitaux étrangers pour l'aider à sortir du goulot de la bouteille, nous apprenons non sans tristesse qu'un couple d'investisseurs français s'est fait ruiner à Zarzis par un escroc tunisien. Et comble du malheur pour ce couple, au lieu d'arrêter leur arnaqueur et œuvrer à réparer leurs préjudices, les autorités locales auraient fait preuve à la fois d'incurie totale envers eux et de complaisance à l'égard du coupable.

Pour autant que la version du quotidien français
Yvon Bisiaux (Photo DDM, L.G)
soit conforme à la vérité
1, cette histoire ne peut que nous indigner. Car la morale à en retenir se résumerait comme suit. La main qui s'était tendue depuis l'Ariège français
, amicale et généreuse -peut-on dire, pour contribuer au renflouement de notre économie, s'est fait «amputer» par les bénéficiaires directs de son apport de fonds. Tandis que la main du voleur, comme devenue plus longue à la faveur de son forfait et de la corruption des autorités tunisiennes, poursuit dans l'impunité ses crimes. L'escroc ayant apparemment réussi à s'acheter des consciences locales et usurper des droits de partie civile, c'est lui-même qui poursuit désormais devant la justice le couple français qu'il a arnaqué ! 

Certes, ce paradoxe de situation illustre bien le vieil adage tunisien: «ضربني وبكي وسبقني وشكى » («il m'a frappé et a pleuré puis m'a devancé pour se plaindre»). Mais en vertu de quel code juridique, ou quelle «charia» révolutionnaire, la main spoliée peut-elle se faire couper dans notre pays, alors que la main coupable, voleuse, devient immaculée, exempte de toute souillure, et s'approprie en plus des droits qui ne sont pas les siens, lui permettant d'intenter des procès contre la «main amputée» ? Est-ce par ce brillant génie national, hors du commun, et par de telles gratifications (aux victimes et à leur escroc) que notre État espère gagner la confiance des étrangers et de leurs capitaux ?

Mais tout en soulevant à bon droit ces questions qui interpellent les autorités tunisiennes, d'autres questions non moins légitimes nous interpellent à leur tour et méritent l'attention de la partie plaignante française. Comment un chef d'entreprise français, supposé assez rodé, ayant à son actif une expérience de trente ans, ancien gérant des magasins «Géant du carrelage» à Pamiers et Saint-Girons, peut-il se faire flouer par un chauffeur de taxi tunisien ? Où sont
(dans cette version de la Dépêche qui n'en fait aucune mention) les avocats, les titres de propriété, les garanties du cadre juridique des investissements étrangers ? Où sont, s'il y a réelle connivence étatique, les rôles qui incombent aux services consulaires de la France et à l'ambassade de ce pays ? Pourquoi la presse tunisienne, écrite ou audiovisuelle, n'a pas été saisie de cette affaire, alors qu'elle compte plus d'un journalistes d'investigation, indépendants et courageux, qui auraient pu faire là-dessus toute la vérité ?

Évidemment, faute de lumière sur les dessous de cette supposée escroquerie où seule la partie française a donné jusqu'ici sa version des faits, il ne nous est pas permis de défendre ni d'accuser
si hâtivement qui que ce soit. Tant que le mystère ne sera pas levé sur les points d'interrogation soulevés et sur tant d'autres encore2, nous ne pourrons faire valoir dans l'immédiat que le juste principe de droit universellement reconnu: tout accusé est présumé innocent jusqu'à preuve du contraire. 

Néanmoins,
à supposer que les doléances du couple français soient conformes à la vérité -et tout ce qui suit est placé sous cette hypothèse, il y a lieu de parler d'un monument d'injustice. Lequel ayant pour scène non un théâtre de l'absurde, mais la terre tunisienne. Et il nous écœure autant par son énormité que par le laisser-aller dont les pouvoirs locaux ont fait preuve envers le couple de Français lésés, et la complaisance de ces mêmes pouvoirs à l'égard du coupable.

Après tous les coups durs portés à l'image nationale par le terrorisme daéshien exporté avec la complicité du gouvernement de la Troïka vers la Syrie, l'Irak et l'Europe
, après le récent scandale éclaboussant le Pôle judiciaire de la lutte contre le terrorisme, après le scandale de la patrouille de police qui a racketté un citoyen et lui a extorqué près de 38 mille dinars, après le scandale des stents et des produits anesthésiants frelatés, après tant de faits accumulés qui montrent la connivence active ou passive de l'Etat dans des affaires criminelles,  cette présumée escroquerie frappant le couple français et supposée impliquer de surcroît des fonctionnaires locaux (dont le gouverneur de Médenine), nous autorise à nous demander si la Tunisie est encore un État constitutionnel et républicain, ou n'est plus qu'un piètre État voyou.

A. Amri
13 août 2016



=== Notes ===

1- Cette réserve est d'autant plus légitime que le journal français qui rapporte les faits ne cite d'autre source que les seules doléances du couple ariégeois. Et il est à regretter que les pages électroniques tunisiennes qui ont repris, plus ou moins allégée3, cette version n'aient fait aucune investigation du côté de la partie tunisienne, ni auprès du présumé escroc ni auprès des autorités publiques supposées complices, pour éclairer dans l'intérêt de l'information objective et de la vérité cette affaire.

2- Parmi ces points d'interrogation: comment un homme aussi rodé peut-il accepter d'acquérir un terrain par l'intermédiaire d'un prête-nom, sans avoir en main au préalable les garanties juridiques nécessaires, actes en bonne et due forme, qui lui permettent de prévenir tout abus de la part du contractant formel sur le papier, qui lui a prêté son nom ? Quel est le statut juridique exact de ce chauffeur tunisien accusé d'escroquerie ? Est-il un associé à part entière, un simple salarié ou l'un et l'autre à la fois ? Si le terrain a été vendu par cet escroc, que signifie alors "l'entrepôt [des Bisiaux] de Zarzis" dont il est fait mention dans les doléances du couple français, dans un contexte historique apparemment plus récent et postérieur à la vente évoquée ? Comment ce couple d'investisseurs acceptent-ils que 4 containers de céramique importée d'Espagne et d'Italie soient indéfiniment bloqués à la douane? A-t-on contacté, directement ou par courrier, les hauts responsables tunisiens pour les mettre au courant de cette injustice ?

3- Ci-dessous les quelques pages électroniques qui ont fait écho à cette affaire, toutes citant l'unique souurce: La Dépêche du Midi:
- akherkhabaronline.com.
- alchourouk.com
- webdo.tn
  






mercredi 3 août 2016

Les Chevaliers de la Morale et de la Vertu et notre vie privée

« Suivant le récit d'Abou Daoud, fondé sur l'autorité d'Amasch, qui le tenait de Zaid, on vint trouver Abdallah ibn Masoud et on lui dit: «Voici un homme dont la barbe dégoutte de vin »; sur quoi il répondit : «Il nous a été défendu d'espionner; mais si quelque chose de contraire à l'ordre s'offre à nos yeux, nous devons punir. » Talibi rapporte la même chose d'une manière un peu différente, sur l'autorité de Zaid ibn Wahab, suivant lequel on dit à Abdallahibn Masoud: « As-tu quelque chose à ordonner par rapport à Walid ben Akaba, dont la barbe dégoutte de vin,» et il répondit : «Il nous a été défendu d'espionner; mais si quelque chose de. contraire à Tordre s'offre à nos yeux, nous punissons. » (Walter Behrnauer, Mémoire sur les institutions de police chez les Arabes, les Persans et les Turcs, Impr. impériale (Paris), 1861, p. 6)


Alors qu'il était calife de 634 à 644, Omar ibn al-Khattâb sortait souvent la nuit pour faire un tour d'inspection à Médine, capitale du jeune Empire musulman. Un soir qu'il effectuait cette randonnée de routine, il entendit s'élever d'une maison une chanson gaillarde. Quand il put localiser la source de la voix et s'en approcher de plus près, il a acquis la certitude que celui qui chantait à l'intérieur de sa demeure était ivre. Il décida de s'introduire immédiatement dans la maison pour arrêter et punir le sacrilège, persuadé que le calife qu'il était usait ainsi d'un droit irréprochable et en tout conforme à la charia. Ayant escaladé le mur et poussé une porte, le calife a découvert alors que non seulement le maître de céans était en train de boire, mais il était en plus en galante compagnie. Ivresse et adultère: deux délits cumulés passibles, le premier de quatre-vingts coups de fouet, le second de lapidation jusqu'à ce que mort s'ensuive.

"Ennemi d'Allah! cria le calife. Crois-tu que Dieu puisse te couvrir alors que tu es en train de transgresser Ses lois ?" Ce à quoi l'homme ainsi épinglé répondit:" Commandeur des croyants, ne vous hâtez pas de me condamner pour deux fautes qui, quelle que soit leur gravité, sont circonscrites dans la maison qui m'appartient et ne regardent que ma personne et ma complice. Mais songez plutôt à demander la clémence de Dieu pour vos propres fautes, dont l'impact est beaucoup plus étendu. Car nonobstant votre droiture et votre souci de justice, Commandeur des croyants, vous venez de transgresser en cette nuit et ce lieu trois lois divines, et non des moindres. La gravité de vos fautes en cette circonstance dépasse de beaucoup ce que j'ai commis !"

- Comment cela ? interrogea Omar. L'homme répondit: « le Coran dit: "n'espionnez pas !"(ولا تجسسوا), et vous venez de m'espionner dans l'enceinte de mon domicile. Et d'une ! et de deux: Dieu dit:" entrez dans les maisons par leurs portes !"(وائتوا البيوت من أبوابها), et vous vous êtes introduit chez moi par effraction en escaladant le mur. Et de trois: Dieu dit:" n’entrez pas dans des maisons autres que les vôtres avant de demander de façon courtoise la permission et de saluer leurs habitants (لا تدخلوا بيوتا غير بيوتكم حتى تستأنسوا وتسلموا على أهلها)". Et vous n'avez pas respecté non plus ce commandement divin».

Toutes les sources1 concordent pour affirmer que Omar ibn al-Khattâb, très à cheval sur la question du droit, a reconnu la justesse de cette plaidoirie et acquitté en conséquence l'homme. Abou Echeikh al-Asbahani va jusqu'à dire que Omar est sorti de la maison de ce noceur en pleurant2. Les supposés flagrants délits que le calife a voulu sanctionner par la charia sont devenus, par cette même charia lue d'une manière dynamique, nuls et non avenus, et ce dès que leur constatation s'est révélée en elle-même non conforme au droit à la vie privée et à l'inviolabilité du domicile.

S'il faut rappeler aux musulmans ce fait historique attesté, lequel n'est pas unique -il faut bien le souligners3, c'est que 14 siècles après Omar, les « Chevaliers de la Morale et de la Vertu» islamiques ne savent pas encore ce qu'est une vie privée. Sur ce chapitre précis, hélas, ils ne sont même pas capables de se hausser au niveau de la charia.

Vladimir Veličković (La chute)
Ce lundi 1er août 2016 dans un quartier situé au nord de l'agglomération de Tunis, l'atteinte à l'inviolabilité du domicile et à la vie privée a fait un mort âgé de 21 ans. Un frais bachelier résidant à Menzah VI, quartier aménagé au début des années 1970 avec une part importante d'habitat collectif, a invité dans son appartement sa copine. Il n'a pas fait la nouba. Ni perturbé le moins du monde le repos des voisins. Mais dans sa hâte d'être à l'abri de tout regard indiscret, il a oublié les clés sur la porte. Et n'a pas soupçonné qu'une voisine de palier n'attendait qu'une telle opportunité pour le traîner dans la boue. La femme, selon toute apparence dragon de vertu et voulant faire la "brigadière de mœurs" dans l'immeuble, a enfermé le couple et appelé la police. Quand le jeune homme s'est aperçu du guêpier dans lequel il s'est fait fourrer avec son amie, il a tenté de descendre par la fenêtre afin de rouvrir de l'extérieur la porte. Il voulait surtout épargner à son amie les conséquences fâcheuses d'une interpellation policière. Malheureusement, la tentative lui a coûté la vie. Il a glissé, et tombant à la renverse, il a succombé peu de temps après à une fracture crânienne.



A.Amri
03.08.2016



=== Notes ===

1- Voir Assyouti (السيوطي ), Alaâ Eddin al-Muttaki (علاء الدين علي المتقي), Al-Kharaiti (الخرائطي).

2- Attawbikh wat'tanbih (Blâme et Prévention).

3- Al-Bayhaqi rapporte dans Al-Sunan al-Kubra que le même calife Omar ne s'est pas permis de s'introduire dans la maison de Rabiâ ben Omaya ben Khalaf, alors que celui-ci était en train de faire la noce avec une joyeuse compagnie.

jeudi 21 juillet 2016

عواصف في تركيا وزَلاّت لدى إسلاميينا في تونس بقلم عبد العزيز قاسم



انتهيت للتو من كتابة مقالة خصصت فيها فصلا للسيد أردوغان سميته "سارق حلب". وغني عن القول أن الأحداث الخطيرة في تركيا تساءلني وتجبرني على مراجعة هذا الجزء من مخطوطي.
 ما يدفعني لكتابة هذه السطور، هو رد فعل غير عقلاني من السيد نور الدين البحيري، وهو يعمل بمهنة المحاماة، الزعيم النهضاوي البارز وقبل كل شيء، وزير العدل السابق. لو شاء أن يتنفس الصعداء إثر فشل الإنتفاضة العسكرية التي لم تكلل بالتوفيق فلا أحد كان يجد مبررا للومه، فتونس في مخيلة النهضة هي مقاطعة من الباب العالي. ولكن السيد البحيري يذهب أبعد من ذلك، بعيدا جدا في ولائه. فعلى صفحته في الفيسبوك وفي تصريح نشر بصحيفة الشروق عبر عن سعادته لرؤية المجندين الشبان، وهم الذين لم يقترفوا ذنبا غير طاعة رؤسائهم، يجردون من سلاحهم ومن ثيابهم ويضربون حتى الموت، بالنسبة للكثير منهم على أيدي سوقة مكلوبة. لو اقتصر الإبتهاج والإحتفاء أمام مشاهد السحل المروعة على اسلاميين تونسيين من أنصار النهضة لهان الأمر، إذ هو في غريزة الأتباع. لكن أن يتلذذ بهذه الشماتة محام كالسيد البحيري فهو شيء تقشعر له الأبدان ويضفي مصداقية على الشكوك التي تحوم حول بعض الإغتيالات.

لا يكتفي وزير العدل السابق، المحامي ورجل القانون والمؤتمن على القانون، بتمجيد غير مقبول لهذه الأفعال بل يعلن أن كل التونسيين الذين لم يدينوا التمرد العسكري التركي هم « ارهابيون » وهي نفس الألفاظ التي استعملها رئيسه [العثماني] ضد المتمردين. في العالم المتحضر، في قوانين الدول، هؤلاء يسمون
في المصطلح الألسني والقانوني «القائمين بالعصيان» . لكن نحن هنا في إحدى جمهوريات الموز.

ندرك جيدا أن ما يضحك لا يقتل، غير أن السيد البحيري يذهب أبعد مما يضحك، إذ يتهم التونسيين المعادين لأردوغان بالتعاطف مع داعش. هل ثمة ما يضحك أكثر من هذا ؟ من الذي صنع وصان هذه الجحافل من المتوحشين، هؤلاء المجرمين من دواعش ونصرة ومشتقاتهما ؟  من الذي أطلقها على سوريا وهي أحد البلدان العربية الأكثر تجذرا في التاريخ والحضارة ؟ أليس هو الصهيوني أردوغان ؟ من الذي جند وأرسل إلى العراق وسوريا الآلاف من سفلة شبابنا ليتلقوا هناك تربصا في الذبح وأكل اللحوم البشرية ؟ 
أنا لا أنوي الخوض في حرب كلامية مع بني وطني من الإسلاميين، فهم عاشوا لحظات ساخنة وأتفهمهم. لكني أناشد فقط العقلاء منهم، والنهضة لا تخلو من عقلاء، عساهم يعضوا وزير العدل السابق الذي لم يفلح في الإبقاء على رشده، ولولا مؤهلاته في مجال الحقوق لما كلفت نفسي عناء الرد عليه. ولكني أقر أيضا، كلفني ذلك ما كلفني، أني أنتمي لشق التونسيين الذين يستهدفهم بنيران اتهاماته لأني أعادي قطعا دكتاتور أنقرة.
أنا عموما ضد كل الإنقلابات سيما وأن العالم العربي عانى كثيرا منها. لكن لكل قاعدة استثناء، وأشير هنا على وجه الخصوص للثورة الناصرية. يجب علينا بالطبع احترام ودعم الحكومات المنتخبة ديمقراطيا، لكن هل تنتمي السلطة التركية حقا للديمقراطيات
؟ أبعد مراقب سياسي يدرك أن السلطان زور بشكل فاضح الإنتخابات الأخيرة. ما الذي يمكن عمله عندما يستولي حزب شمولي على بلد بالإعتماد على ميليشيات مستعدة لكل شيء واتخذت من المساجد رباطات لها مع أن الرباطات عفا عليها الزمن ؟ ألا نتذكر أردوغان سنة 1998 حين كان رئيسا لبلدية اسطنبول ويصدح في خطاب حماسي بهذه الأبيات الشعرية وهي أفصح ما تكون: « المآذن ستكون حرابنا / القباب خوذاتنا / المساجد ستكون ثكناتنا / والمؤمنون جنودنا» ؟
في مصر، عبدالفتاح السيسي عرف كيف يقف بجانب الملايين من المتظاهرين حين قرفوا من الحكم الإخواني الذي فقد كل شرعية باقترافه المتكرر لشتى التجاوزات. ولأن الإنتخاب ليس صكا على بياض كيف يتسنى للناخب أن يتخلص من حاكمه بالوسائل المشروعة في حين أن هذا الحاكم قد استولى على كل المؤسسات أو دجنها
؟ وهو الحال في تركيا. 
من حاولوا الإتقلاب في تركيا فشلوا في ذلك وليس بوسعي أن أجد تفسيرا لفشلهم. البعض يرى أنهم أساؤوا اختيار التوقيت، فاجتياح مدينة يتم في الفجر بعيدا عن الاختناقات المرورية. هل عول قادة التمرد على انضواءات فشلت في نهاية المطاف ؟ لكن إخراج جنود من الثكنات وإصدأر تعليمات إليهم بعدم إطلاق النار على أوغاد تكشف عن أنيابها، ألا يعد هذا حكما مسبقا على هؤلاء الجنود بأن يكونوا حصة خسيسة لكلاب الصيد مثلما تم بالفعل ؟ إلا إذا كان أردوغان، مثلما جاء على لسان معارضه وهو أيضا إسلامي، وراء هذه المكيدة .. فغولين اللاجىء بتسلفانيا يعرف عما وعمن يتحدث ،إذ كان هو نفسه مرشد أردوغان وكان له بمثابة بيجماليون . واليوم هو متهم من قبل تلميذه السابق بالتحريض على الأحداث وهذا التلميذ يطلب بالصوت العالي أن يُسَلّمَ غولين له، ولو وصلت هيلاري للرئاسة غير مستبعد أن تلقي به الولايات المتحدة  للوحش الجريح. هذا مخيف !
ومهما يكن، بوسع أردوغان أن يتذوق حلاوة نصره: عشرة آلاف من العسكر هم رهن الإعتقال وينوي من أجلهم إعادة عقوبة الإعدام، ثلاثة آلاف من كبار القضاة تم عزلهم وجلهم أُودِعَ السجن، أكثر من ثمانية آلاف شرطي ومثلهم من كتبة دولة أطردوا وحملات ملاحقة الساحرات متواصلة. والقائمات الطويلة جدا من الناس الذين تم إيقافهم أو طردهم لا يمكن أن تكون غير جاهزة مسبقا. كل الأنظمة الإسلامية دون استثناء حين تصل للسلطة لا هم لها غير التمكين. والغاية تبرر الوسيلة بما في ذلك مهازل الإنتخابات.
تلك إذن  « الديمقراطية » الراسخة جدا حيث تتمركز كل السلط في يد رئيس الجهاز التنفيذي. وغاية التطهير الواسع لأجهزة الدولة هو حصرالتوضيف الفعلي في دائرة المتعصبين للنظام ومخبريه. ويظهر شريط فيديو استجواب المتهمين وضباطا سامين في الأغلال وقد انتفخت وجوههم وهم قبالة جلادين-محققين من صنف محاكم التفتيش كما يظهر قضاة تمسكوا بشيء من العزة لكنهم يتعرضون للإهانة من أشداق مجرمة بذيئة.
هذه الأشداق والأشكال هي الآن وجه دولة حزب العدالة والتنمية . غير أن من يدير هذه اللعبة الفضيعة سيدرك قريبا أخطاء حساباته القاتلة. فهذا الإنقلاب السياسي الأردوغاني كان له الفضل في جر التيوقراطي للخطأ.
حين أرى أن المتمردين لم يتم تحييدهم واعتقالهم عن طريق رفاقهم في الجيش كما يتوجب الأمر، حين نرى الأوغاد الملتحين يدوسون البدلات العسكرية لجنود شبان جردوا من ثيابهم واعْتُدِيَ عليهم بصفة فاحشة، هذا الفعل المشين والخطير الذي يستمتع به كثيرا السيد البحيري سيبقى طويلا في ذاكرة العسكر، بما فيهم من لم يساند المحاولة الإنقلابية، كإهانة لا تمحى ولا تغتفر، والأيام بيننا.

تعاطفي، أحب السيد البحيري والرئيس المؤقت السابق أم كرها، يتجه نحو الأكراد المضطهدين والكماليين ضمانة الحداثة، ولجميع الواقفين في وجه التوسع العثماني الجديد. والموصل عراقية وستبقى عراقية وحلب سورية وستبقى سورية.

عبد العزيز قاسم
ترجمة أحمد العامري
21- 07- 2016




النص الأصلي


 
عبد العزيز قاسم هو أستاذ مبرز تونسي بالجامعة ولد ببنان بالساحل سنة 1933 وشغل مناصب عليا في مجالات التعليم والثقافة والاتصال. وهو شاعر وناقد باللغتين العربية والفرنسية, وقد ترجم العديد من القصائد العربية إلى الفرنسية كما شارك ببحوث في كثير من الندوات والملتقيات الشعرية العالمية , ونشر العديد من دراساته في نقد الشعر في المجلات التونسية والأجنبية.
 دواوينه الشعرية : حصاد الشمس 1975 - نوبة حب في عصر الكراهية 1991, إلى جانب ديوان شعر باللغة الفرنسية.
أعماله الإبداعية الأخرى : شارك في كتابة رواية باللغة الفرنسية صدرت عام 1985.

حاصل على جائزة ابن زيدون للشعر 1986, وعلى الريشة الذهبية للشعر 1991 وترجمت له قصائد إلى اليوغسلافية والبولونية.
 

samedi 9 juillet 2016

L'insatiable feu tunisien

Au pays du jasmin, les suicides se suivent et se ressemblent au quotidien. Et à l'exception des échotiers qui les honorent ici ou là de quelques lignes, ces corbans humains dédiés au feu ou à la corde touchent de moins en moins le citoyen. De plus en plus, la tendance est à laisser mourir qui veut et peut dans l'indifférence quasi totale. Il est à craindre qu'en raison de son étendue, le suicide soit devenu pour les Tunisiens une banalité, un pain quotidien qui n'a d'impact que sur les familles directement concernés par ce malheur.

Le 5 juillet, un homme de 43 ans a été admis en soins intensifs à l'hôpital de Sfax après s'être mis le feu au corps aspergé d'essence, au poste de la Garde nationale d'El Hencha. Le 6 juillet, une jeune fille a tenté de s'immoler elle aussi par le feu à Menzel Tmim. Deux ou trois membres de sa famille qui ont essayé de la secourir se sont fait brûler à leur tour. Le 8 juillet, une jeune fille de 30 ans s'est pendue à Mahdia. Et le même jour, on apprend que le «Bouazizi» d'El Hencha a succombé à ses brûlures.

Depuis Mohamed Bouazizi à Sidi Bouzid -il y a de cela 6 ans, il ne se passe presque plus un jour sans que les médias nous rapportent la triste information d'un suicide au moins ou d'une tentative de suicide dans notre pays. Rien que pour l'année 2015, la moyenne mensuelle de ces tragédies est de 45 cas. Et la tranche d'âge la plus touchée par cet acte de désespoir suprême se situe entre 25 et 35 ans.*

Même si toutes les tragédies se valent dans ce contexte précis, celle de Imed Ghanmi, en tout rappelant le martyre de Bouazizi, mérite un intérêt particulier ici.

Ce 5 juillet, dernier jour de ramadan, les Tunisiens étaient à la veille de l'aïd. Comment, à tel jour surtout, Imed Ghanmi, pourtant âgé de 43 ans, pourtant marié et père de 3 enfants, ait-il pu céder au désespoir et se donner la mort d'une manière aussi spectaculaire ?

Imed Ghanmi
Contractuel dans l'enseignement supérieur et finissant une thèse de doctorat en mathématiques, Imed a perdu tout récemment son emploi à l'université, son contrat et celui de quelque 2600 enseignants dans le même cas ayant expiré avec la fin de l'année universitaire 2015/2016. Après 7 ans d'enseignement à l'INSAT, dont 4 à Mahdia et 3 à  Tunis, cet homme est contraint de travailler comme simple serveur de narguilés dans un café. 
C'est triste mais c'est la condition commune d'un nombre indéterminé de diplômés tunisiens. Que faire d'autre pour assurer le pain et un semblant de décence à sa famille dans ce pays allant de pis en pire,  qui ne fait que régresser, économiquement et socialement parlant, depuis la révolution de 2010/2011 ? 
Imed Ghanmi a une moto et il a dû négocier avec son patron le privilège de devenir son fournisseur exclusif de tabac à chicha («maâssel»). Une fois l'accord conclu, le serveur de narguilés a traversé le pays à moto, se rendant de Bizerte (à l'extrême nord du pays) à Sfax au sud, afin de se procurer au meilleur prix la marchandise. Et il semble qu'il a emprunté à son patron ou à quelque ami l'argent nécessaire pour faire cet achat.

Un professeur d'université déchu, un mathématicien doctorant, l'un de ceux que nous appelons notre élite scientifique, est sommé par le besoin de vivoter d'expédients. Expédients même si le commerce s'effectue dans la transparence et n'a rien de malhonnête. Pendant que des non diplômés, des non instruits, des mafieux, des parasites sociaux de tout bord, parce que pistonnés et jouissant de l'appui de gens corrompus, trouvent le moyen d'accéder à des postes élevés, de toucher des salaires quelquefois inimaginables, faramineux, de réussir et parvenir.

Ce 5 juillet, à 5 heures du matin, alors qu'il rentrait à Bizerte, Imed Ghanmi est arrêté à El Hencha par deux agents de la Garde nationale. Sans le moindre égard pour sa condition sociale ni pour la circonstance de fête, les agents ont d'abord confisqué sa marchandise, abusivement jugée «contrebande». Quand il a contesté un tel abus, on l'a tabassé et sa moto elle-même a reçu sa part de « raclée »  avant d'être confisquée.

Imed a téléphoné alors à l'un de ses amis motorisés vivant à Boumerdès. Et cet ami qui devait initialement le prendre et le déposer à la plus proche gare l'a incité à rester au poste de la Garde nationale. Pour y attendre l'officier chef de poste et tenter de récupérer sa marchandise et sa moto.

Vers 9 heures moins le quart du matin, Imed téléphone à sa femme. Puis il éteint son appareil. Une heure plus tard, sa femme apprend qu'il a été admis
en soins intensifs à l'hôpital de Sfax, après s'être aspergé d'essence et mis le feu à son corps. Ayant subi des brûlures de troisième degré, Imed Ghanmi est mort ce vendredi 8 juillet.

Imed Ghanmi au sit-in des enseignants et assistants contractuels de l'enseignement supérieur
 (janvier 2016 à Tunis)




A. Amri
09.07.2016



* Chiffres établis par l'Observatoire social tunisien (Forum tunisien des droits économiques et sociaux)

vendredi 8 juillet 2016

Austin et les ambassadeurs d'Azraël



« Une des coutumes bizarres des gens des oasis est la cynophagie. Cet usage est en violation flagrante du Coran, qui interdit expressément l'usage de la viande de carnassiers. Malgré cette proscription, on mange du chien sous toutes les palmeraies. Pour excuser cet usage, les habitants prétendent que cette chair les préserve de la fièvre. On se trouve là en présence d'un vieil usage antérieur à l'Islam. » (Lucien Bertholon) [1]


Qui n'a pas entendu parler des capacités paranormales des chiens, comme la perception d'esprits, de fantômes, voire de l'ange de la mort à l’œuvre ? Mais que diriez-vous d'un chien qui -selon toute vraisemblance en raison du cri de sang de sa propre espèce, n'aime pas voir certains spécimens du genre humain, comme les Gabésiens par exemple ?

Au mois de mars 2005, cinq Gabésiens dont l'auteur de ces lignes ont passé deux semaines aux Côtes d'Armor, en Bretagne. C'était dans le cadre d'un stage pédagogique inscrit dans une vieille tradition de coopération, instaurée depuis leur jumelage en 1998, entre le gouvernorat tunisien et le département français. Durant ce stage, nos hôtes ont tout fait pour rendre agréable notre séjour. Et je ne dirais jamais assez combien la charmante hospitalité de nos amis bretons nous a conquis. A ce jour, leur sympathie, leur prévenance et leur générosité restent inoubliables. 

Je me souviens en particulier de Loïc
Loïc Poullain
Poullain
, professeur à l'IFUM de Saint-Brieuc, qui nous a invités un jour chez lui pour le déjeuner. Il avait deux enfants ravissants, et une femme formidable. Je me rappelle que la veille de ce déjeuner, le couple Poullain est venu nous voir à l'Auberge de Jeunesse où nous étions hébergés. Après avoir accepté de prendre un thé « à la gabésienne » préparé par nous et servi avec des morceaux de  loukoum et de halva, les Poullain nous ont dit qu'ils étaient venus nous prendre pour faire un tour en ville. L'invitation au déjeuner du lendemain avait été faite deux jours auparavant. Et quand le tour en ville nous a conduits vers la poissonnerie d'un supermarché, nous avons compris que c'était pour nous demander si nous avions une préférence pour tel ou tel poisson. Car ils comptaient nous faire manger du poisson.

Et pourquoi, diriez-vous ? par prévenance à deux enseignants de notre groupe -nous avons fini par les surnommer les « Semi-végétariens », qui, depuis leur arrivée en France, boudaient toute sorte de viande, ne mangeant que du poisson, des fruits de mer ou des légumes. Quoique l'auteur de ces lignes, se faisant en la circonstance ouléma, rappelât la fatwa d'
al-Albani [2],[3], et le verset de coran qui permettent de halaliser dans la nécessité ce qui n'est pas halal, et quoique ce même ouléma rappelât encore que la simple formule bismillah, prononcée au moment de passer à table, devrait suffire pour délier le musulman des interdits qu'il ne peut observer en la circonstance, ce fiqh, jugé permissif et pas orthodoxe, n'a pu que valoir à son auteur des hochements de tête incrédules, et des aoudhou billah le persuadant que le mufti qu'il était, s'il voulait se faire plus audible et crédible, ferait mieux de s'allier au  Méphistophélès de Faust !

Il faut reconnaitre que, malgré mes décevants insuccès d'ouléma en la circonstance,  je ne pouvais que répondre par des hamdoullah, pieux et profonds, à ces « Semi-végétariens». Et ces dévotes marques de gratitude à Dieu, d'ailleurs, s'élevaient en chœur de tout le reste du groupe. Carnivore inaltéré, bien endenté et ne crachant jamais sur un steak saignant ou des morceaux de veau juteux, ce groupe se partageait avec joie ces rations de viande boudées, pour en faire sa kémia, ce qui lui permettait de bien arroser au quotidien ses repas. D'ailleurs les mêmes « carnivores inaltérés» n'avaient pas oublié d'apporter chacun quelques bonnes bouteilles du terroir tunisien avant de débarquer en France. Pour les servir ou offrir à nos amis bretons.

Mais le piquant de l'histoire n'est pas là. Et j'y viens sans plus tarder. Quand nous avons été reçus par les Poullain, alors que la maîtresse de maison nous servait du café, Mohamed -l'un des «Semi-végétarien, m'avait dit tout bas: «hé! nos amis ont un clebs !» Et ma réaction immédiate fut de tourner la tête, lentement mais dans tous les sens, à la recherche du chien. Ne le voyant nulle part, j'ai interrogé des yeux le «Semi-végétarien». Et ce dernier, reniflant par deux fois, voluptueusement, comme si l'air ambiant était imprégné de jasmin, me fit comprendre qu'il en a flairé le fumet. Je dis bien fumet, et non odeur, parce que le terme arabe serait trahi si je le rendais par un autre mot ! Ni moi-même ni le reste du groupe -comme ils me le confirmeraient plus tard- n'avions pu discerner dans l'air une odeur particulière, à part celle du poisson, plus ou moins avivée par l'appétit, qui semblait provenir de la cuisine. Alors, ne résistant plus au désir d'en avoir le cœur net,  j'ai demandé à M. Poullain s'il avait un chien.
"Oui, dit-il. Il est dans sa niche. Vous voulez voir Austin ? Venez les amis ! il est juste derrière, au fond du jardin."

Bien des années plus tard, quand roulant dans les parages de Mareth je vis une meute de chiens se lancer à la poursuite de ma voiture en aboyant, j'ai compris pourquoi, des cinq stagiaires gabésiens invités par Loïc Poullain, seul Mohamed le «Semi-végétarien» a flairé le clebs. En vérité, ce nez qui, de prime abord, a pu percer en Bretagne le fumet du chien, habite à Mareth, à 40 km au sud de Gabès. Alors que tous les autres vivent à Gabès ville. Et il faut souligner qu'à Gabès ville et dans sa proche banlieue, beaucoup de «bonnes odeurs», hélas! s'étaient irrémédiablement perdues depuis un bail. Entre autres celle du chien qui fait presque figure de dinosaure ! Au jardin zoologique de Cheninni, le seul chien qui subsiste encore, faisant le beau malgré son état, est un sloughi empaillé !

Pendant que M. Poullain nous faisait découvrir son jardin sur le chemin conduisant à la niche du berger, je me souviens qu'il nous a dit:" chez vous, il parait qu'on n'aime pas les chiens." Une remarque qui fit sourire mes collègues, se fit même salivante à deux des "pas carnivores", alors que je rétorquai:" ceci est valable, peut-être, pour une bonne partie des Arabes dont les Tunisiens que nous sommes [4]. Mais ce n'est pas vrai pour nous autres, Gabésiens. D'ailleurs si Gabès a une certaine renommée à l'échelle nationale, tout le monde vous dira que c'est surtout grâce au chien étroitement associé à ses traditions culturelles. Sans exagération, je vous dirais que pas un Tunisien n'aime autant le chien que nous !

Et quoique j'aie pris soin d'articuler ce mot de manière à souligner la marque du singulier, je ne pense pas que notre hôte ait saisi la nuance et le sens exact de ma réplique. De sorte que la suite de l'échange entre lui et moi à ce sujet ne fut qu'un interminable quiproquo.
"Ah, voilà quelque chose qui me rassure, dit M. Poullain. Cet été, nous comptons partir en vacances dans votre pays et les enfants tiennent à ce qu'Austin parte aussi avec nous.
- Vous n'en serez que mieux accueillis chez les Gabésiens!" dit Mohamed, qui avait sorti un mouchoir pour s'éponger à deux reprises les lèvres. Détail qui n'est pas sans rappeler, est-il besoin de le dire? le fameux réflexe de Pavlov mettant en rapport stimulation et salivation.

Nous étions à quelques pas de la petite cabane en bois. En vérité, petite cabane est une façon de parler qui, au mieux, ne pourrait que suggérer une pâle image de l'abri pour chien concerné. C'était ce qu'on peut appeler, sans fioriture aucune, un chalet, très haut de gamme, avec une terrasse , un auvent, un porte gamelles et d'autres éléments de confort, le tout si bien aménagé et si intégré au jardin que nous en fumes pour le moins émerveillés. Et alors que je disais, à mon tour, à notre hôte:" rassurez-vous de ce côté; mais songez quand même à contracter une bonne assurance pour votre chien!" nous entendîmes, sans voir encore le chien, un grognement qui semblait traduire l'appréciation par quoi le maître de céans, encore invisible, accueillait mes propos précis.
" Calme-toi ! lança M. Poullain. Ce sont nos amis gabésiens !"
Au mot "gabésiens", nous vîmes surgir de son chalet, furieux, le berger. Je me rappelle encore le prompt pas en arrière, réflexe commun des invités que nous étions, face à la posture menaçante du chien. Je n'oublierai jamais cette gueule ouverte, ces dents pointues et saillantes, le regard étincelant décoché vers nous tous,  planté un moment dans mes propres yeux, le plissement des lèvres baveuses vers l'avant. Ni le vilain grognement qui ne faisait que monter. Tandis que notre hôte éprouvait toutes les peines du monde à faire coucher sa bête, répétant incessamment: "ce sont nos amis gabésiens !", que nous mêmes tentions par le regard conciliant de persuader l'animal que nous n'avions aucune intention de lui faire du mal, le molosse ne voulait pas du tout se calmer. Visiblement, il voulait le dire -à son maître comme à nous- que ces Tunisiens venus de Gabès étaient personæ non gratæ ! et toutes les tentatives pour nous mettre dans ses bonnes grâces seraient vaines.. parce que irrecevables !

Autour de la table du déjeuner, nous avions discuté un peu de cette mauvaise humeur manifestée par Austin. Et Mme Poullain, qui était persuadée que leur berger est raciste, nous a révélé qu'il y eut deux ou trois antécédents lui ayant permis d'avoir son idée là-dessus.
"Quand c'est un Breton, un Français en général, qui s'en approche à notre compagnie, jamais il râle." Son mari lui fit remarquer qu'une certaine Suzanne, française et bretonne, a failli se faire lacérer le jarret, juste trois mois plutôt. "Heureusement, dit-il, qu'elle portait des bottes!"
- Oui, mais tu oublies que Suzanne
 Nguyen est d'origine vietnamienne. Tu te souviens des deux profs chinois qu'il a voulu attaquer et qui ont pris la poudre d'escampette ?
- Si j'ai bien compris, dis-je, il doit avoir une dent contre les Asias et les Arabes.
- Je dirais plutôt contre les étrangers, remarqua Mme Poullain, le cas s'étant présenté aussi avec un beau-frère, époux de ma sœur, qui est suisse ! Et puis il y a eu encore ce jardinier africain, camerounais ou nigérian, je ne sais plus. On a dû enfermer le chien dans la cuisine pour que le pauvre ouvrier puisse faire son boulot."

Une Vietnamienne, deux Chinois, un Suisse, un Africain du Cameroun ou du Nigéria. Et enfin cinq Tunisiens de Gabès: voilà ce qui a permis à Mme Poullain d'en déduire que son chien est soit raciste soit xénophobe. Mais à mon avis, à mon humble avis, Austin n'est ni xénophobe ni raciste. Les cinq spécimens de l'espèce humaine déclarés par ce chien personæ non gratæ ont en commun ceci: ils aiment tous le chien ! Et tous ont acquis le triste renom de cynophages !


A. Amri
06.07.2016



1- Dr Lucien Bertholon, La population et les races en Tunisie, in La France en Tunisie (par Marcel Dubois, Gaston Boissier, P. Gauckler, Dr Bertholon), 1897, p. 68.


2- Se fondant sur le verset coranique qui dit: "وَمَا لَكُمْ أَلَّا تَأْكُلُوا مِمَّا ذُكِرَ اسْمُ اللَّهِ عَلَيْهِ وَقَدْ فَصَّلَ لَكُم مَّا حَرَّمَ عَلَيْكُمْ إِلَّا مَا اضْطُرِرْتُمْ إِلَيْهِ ۗ وَإِنَّ كَثِيرًا لَّيُضِلُّونَ بِأَهْوَائِهِم بِغَيْرِ عِلْمٍ ۗ إِنَّ رَبَّكَ هُوَ أَعْلَمُ بِالْمُعْتَدِينَ [Qu'avez-vous à ne pas manger de ce sur quoi le nom d'Allah a été prononcé ? Alors qu'Il vous a détaillé ce qu'Il vous a interdit, à moins que vous ne soyez contraints d'y recourir. Beaucoup de gens égarent, sans savoir, par leurs passions. C'est ton Seigneur qui connaît le mieux les transgresseurs] (Coran, Al-anâm, 119), ce théologien albanais estime que le passage "إِلَّا مَا اضْطُرِرْتُمْ إِلَيْهِ [à moins que vous ne soyez contraints d'y recourir]" autorise d'appliquer en la circonstance la règle "الضرورات تبيح المحظورات [les nécessités rendent licites les interdits".
 
3- أبو عبد الرحمن عادل بن سعد، فتاوى العلامة ناصر الدين الألباني، دار الكتب العلمية، 2011، ص. 190‎


4- Une idée plus ou moins faussée sur les Arabes et les musulmans veut que ceux-ci n'aiment pas les chiens. Ce que ces musulmans et Arabes n'aiment pas au juste, ce sont les impuretés liées aux chiens. Et tout le reste est infondé. Un hadith du Prophète dit qu'"un homme qui donne à boire à un chien assoiffé sera pardonné de ses péchés". Un autre dit qu'une prostituée juive s'est rachetée en donnant à boire à un chien errant. Le Coran met en valeur la fidélité du chien, qui en fait le gardien des Gens de la Caverne. Voir à ce propos l'article de Marine Benoît: Pourquoi les chiens ne sont pas les bienvenus dans l’islam.


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