jeudi 24 mars 2016

Mythémologies: hanche et racines arabes à la pelle - 3



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«On est stupéfait en parcourant la liste des traductions opérées par Gérard [de Crémone] et l'on cesse de s'étonner qu'elles soient aussi incorrectes, remplies de mots transcrits plutôt que traduits, qui finirent par avoir droit de bourgeoisie dans les langues occidentales et particulièrement dans la langue française. Les traductions de Guy de Chauliac sont pleines de ces épaves...» Lucien Leclerc1.

Ancha au dessus du tapis magique

Les Arabes n'ont pas encore envoyé leur tapis aladin vers le ciel. Et il n'es pas certain que ce tapis puisse prendre bientôt la forme d'un engin spatial et décoller vers Bételgeuse, Achernar ou Ancha. En ce moment, et pour une ère dont le bel âge printanier n'est qu'un maillon dans sa longue chaine, les Arabes semblent davantage préoccupés par un autre firmament, non azuré mais plus élevé et moins exigeant en savoir technologique. Un firmament dont ils sont les seuls à connaitre la cartographie et les secrets. Et comme il est peuplé de sérails sans nombre abritant derrière leurs moucharabiehs des myriades de houris, il est normal qu'il soit plus alléchant aux yeux des alcides que le ciel, aride et exsangue, des astronomes et des cosmonautes. C'est vers ces alcôves si élevées que les amiraux des missions spatiales arabes envoient chaque jour leurs katibas de zélotes, pour la béatitude à quérir ailleurs que sur la terre infectée de kufr et de fassad. Ainsi le sein2 d'Allah se profile-t-il plus urgent à conquérir, plus gratifiant à l'endroit de ceux qui paient depuis des siècles le lourd carache des vaincus, ceux qui s'étaient fait exclure de la mer et du ciel, de l'histoire et de ses planisphères, il y a de cela un bail.

Et cependant, ces parias de l'ère spatiale, perpétuant de leurs propres mains l’œuvre qui les empêche de rattraper le temps perdu, étaient jadis les premiers explorateurs du ciel aujourd'hui légué aux cafres, guèbres, gaures, kouffars.

S'il plait à certains, y compris parmi la smala concernée, de penser que les Arabes ont inventé le zéro et y sont restés3, il faut quand même rendre cette justice aux supposés zérotièmes de la civilisation qu'ils étaient les premiers à avoir brisé la solitude des astres dans le ciel.

En témoignent, comme l'écrit Sigrid Hunk: «les cinq cent trente-quatre astronomes arabes dont l'Histoire nous a conservé les noms - phalange dont bien peu de peuples civilisés pourraient fournir l'équivalent»4. En témoigne encore le corpus astronomique qui, parmi les millions de manuscrits arabes éparpillés dans le monde5, compte plus de 10 000 titres6 conservés à travers le monde, dont 4000 à Istanbul. Corpus -au propre comme au figuré- astronomique qui attend que la recherche daigne le dépoussiérer et lui permette de révéler son contenu. En témoignent aussi des mots qui ont acquis dans les bourgs du français et d'autres langues occidentales, par la faute de ceux qui furent des imparfaits drogmans7, le privilège immérité dont parle Lucien Leclerc cité-ci-haut. Almanach, alancabuth, atlas, azafea, astrolabe, almincantarat, alidade, théodolite, zénith, azimut, calibrecarte, cartelle, nadir, azur, climat, degré, al-akrab, alakràn, scorpion, taureau... sont des épaves tombés dans les langues romanes du ciel astronomique sarrasin. En témoignent enfin quelque 200 noms d'étoiles, du même ciel, lesquels, malgré le vœu inavoué de Bayer et son système hellénisant, refusent de s'éclipser dans les dictionnaires romans.


Etoile Ancha, constellation du Verseau
Quelque part à 191 années-lumière de la Terre, une étoile rayonne non loin de l'écliptique, dans le spectre électromagnétique du Verseau. Longtemps avant que les Arabes n'aient traduit du grec Ptolémée l'Egyptien8, longtemps avant même la venue de l'islam, cette étoile était connue sous le nom as-saq [الساق ], lequel signifie jambe. Et depuis le transfert du savoir astronomique arabe vers l'Occident, elle porte le nom, pas moins arabe même latinisé, de hanche: Ancha.

Sur bien des pages web, le nom Ancha est dit arabe, et cela ne devrait choquer que les «mythémlogistes». L'étoile se trouve en haut de la cuisse du ad-Dalou [الدلو Verseau], d'où son nom qui rend plus pertinente l'origine arabe. Et comme Aïn (œil), Rigel (pied), Alnitaq et Mintaqa (ceinture), Bételgeuse (main d'al-jawzā) Deneb (queue), Denebokab (queue de l'aigle), Mekbuda (patte pliée du lion), Ras Alhague (tête du serpent), et tant d'autres étoiles, Ancha tire son nom du vocabulaire anatomique.

Dans un ouvrage consacré aux noms des étoiles et leurs sens, paru aux USA et dans plusieurs villes européennes, en 1899, on lit : « is Ancha, the Hip [...] The word is from the Latin of the Middle Ages, and still appears in the French hanche, our haunch»9.

Encore une Ankaa


Etoile Ankaâ, constellation du Phoenix
A quelque 4,5 milliards d'années-lumière de la Terre, une autre étoile, plus brillante encore, rayonne dans le spectre électromagnétique du Phoenix. Elle aussi est connue des Arabes depuis la nuit des temps, bien avant l'islam, sous le nom Ankaâ [عنقاء ]. Ce nom signifie phœnix, mot sur quoi les Grecs ont tissé un mythe -c'est leur droit, mais, n'en déplaise aux mythomanes, le mot n'est pas grec. Il dérive de la racine sémitique [fnk فنق ], laquelle a donné Phénicie et Phéniciens10.

Ancha et sa sœur  homophone ont été maintes fois confondues par les traducteurs, maintes fois corrompues par les translittérations sans nombre que, pour contourner l'amalgame, il a fallu en rebaptiser une: et ainsi Ancha devint-elle Theta Aquarii. Si Gerbert d'Aurillac, Gérard de Crémone, Alphonse X, Jean de Séville, et bien d'autres traducteurs médiévaux, revenaient parmi nous, ils auraient sûrement maille à partir avec le jargon chambardé des vieilles tables tolédanes, siciliennes et autres.

Il est temps de revenir sur terre pour appliquer un cautère royal à la hanche tudesque !
 
                 
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A. Amri
12.03.16


==== Notes ====


1-La chirurgie d'Abulcasis, Par abu al Kasim Al Zahrawi, (Paris, 1861); p.7.
 
2- L'étymon persan, de m^me que le latin sinus (« courbure, sinuosité) auquel les philologues rattachent le mot français dérivent, à mon sens, de l'arabe ar. سن sinn (tête des os de la poitrine et extrémité de la côte dans la poitrine) (voir Edward William Lane, An Arabic-English Lexicon, Book 1, Part 4, Londres, 1865, pp. 1430). 


3- Un petit mot à dire ici: les Arabes à qui on attribue les chiffres et le zéro n'ont jamais revendiqué rien de cela; ils ont été les premiers à dire que les chiffres et le zéro (en tant que signes mathématiques) sont indiens. Par contre, les deux signifiants lexicalisés en français et dans d'autres langues, tous deux dérivant du cifr [صفر], sont indiscutablement arabes. Et s'ils sont arabes, et pas indiens, c'est assurément parce que les Arabes sont allés bien plus loin que le zéro emprunté.

4- Le soleil d’Allah brille sur l’Occident, Albin Michel 1963; p.81

5-  Mohammad Ilyas, Islamic Astronomy, Pelanduk Publications,‎ 1997 2- Al-Khwarizmi, Al-Battani, Al-Khujandi, Al-Biruni, Omar Khayyam


6- Nombreuses sont les sources qui évaluent à des millions les manuscrits arabes. Néanmoins, les estimations approximatives varient d'une source l'autre, et quelquefois la même source donne deux estimations différentes. Ainsi Pierre Ageron (Université de Caen) donne-t-il tantôt le chiffre de 2 millions (Les manuscrits arabes de la bibliothèque de Caen (Annales de Normandie Année 2008 Volume 58 Numéro 1); pp. 77-133) tantôt celui de 4 millions (L'univers du manuscrit arabe, à travers les collections des bibliothèques publiques de Basse-Normandie, Par M. Pierre AGERON (Séance privée du 22 septembre 2012)). Ce même chiffre de 4 millions est donné par Marie-Hélène Bayle dans un séminaire en date de janvier 2007 (Approches de l’Islam: L’histoire, les œuvres, l’actualité).

7- A notre sens, Lucien Leclerc aurait dû témoigner un minimum d'indulgence, voire de gratitude à ceux qui, malgré leur maîtrise imparfaite de l'arabe, avaient transmis à l'Occident chrétien médiéval  ce qui lui  permettrait de rattraper le monde musulman puis de le devancer. 

8- L'Occident a découvert Ptolémée, mille ans après sa mort, et grâce aux Arabes qui avaient traduit dans leur langue ses deux œuvres (Almageste et Tetrabiblos), ce qui a permis à Gérard de Crémone de rendre en latin son œuvre, vers 1157. Mais une fois cette œuvre sortie des bibliothèques tolédanes, les Arabes sont devenus du jour au lendemain des ravisseurs, copieurs, plagiaires... de l'Almageste et du savoir grec.
Et pour avoir porté Ptolémée comme surnom, pour avoir cité Hipparque (né et mort dans les frontières de la Turquie actuelle, ancienne colonie grecque) et écrit en grec dans l’Égypte colonie grecque, l'auteur d'Almageste, nous disent ses biographes, est grec. En même temps, pour avoir porté comme nom Claudius, ces mêmes biographes nous disent qu'il est romain. Quant à l'Egypte dans laquelle l'astronome est né et mort, et l'Alexandrie dans laquelle il a vécu et dont il tire son cognomen d'Alexandrin, nos respectables biographes ne les jugent pas dignes de revendiquer sa parenté.

9- Richard Hinckley Allen (1838-1908), Star-Names and Their Meanings (New-York, Leipzig, Paris, London, 1899)

10- Les Grecs qui ont reçu l'alphabet et le calame de Cadmos seraient-ils plus habilités que le maître et son peuple pour donner à ceux-ci le nom de leur patrie, de leur nationalité et de l'oiseau mythique ? Cette question, nous la posons à ceux qui n'ont pas lu Hérodote, ou l'ont oublié, Jean-François Champollion (Grammaire Egyptienne), Victor Bérard (Les phéniciens et l'Odyssée), Pierre Rossi ( La cité d'Isis - Histoire vraie des Arabes), Ahmed Abd ( جغرافية التوراة في جزيرة الفراعنة Géographie de la Torah dans l'île des Pharaons). A ceux qui craignent le soda, l'essentiel de tous ces livres est condensé dans les révélations d'un article à trouver sur ce lien.


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