mercredi 20 mars 2013

A des frères à nous, que nous oublions quelquefois

Quelquefois nous oublions ce sang racé qui est de nous.
Que nous dénient dans leurs tubes à essai les analystes de groupes sanguins soucieux de prévenir l'abâtardissement de notre race, l'altération de ce qu'ils appellent "nôtre pur sang".
Quelquefois ce sang racé, l'autre, le vrai, en nous bouillonnant et plus pur que le présumé pur sang nôtre, nous rappelle à l'irréfragable appel de notre sang de race.

Quelquefois nous oublions injustement des frères à nous.

Je cite pêle-mêle, outre Henri Maillot et Maurice Laban dont les photos illustrent ce texte, morts pour l'Algérie indépendante, l'un au maquis des Arès comme fellaga, l'autre fellaga du même maquis capturé et fusillé alors qu'il criait:"Vive l'Algérie indépendante!"...
Je cite, outre ces frères qui nous ont transfusé leur sang pour nous permettre de vivre libres au Maghreb, mille et un autres du même sang généreux, tombés pour la Palestine, ou ayant passé leur vie en prison pour elle, dont certains -depuis près de 20 ans- à ce jour dans les oubliettes des prisons...
Je cite pêle-même Patrick Arguello, Rachel Coorie, Juliano Mer-Khamis, Vittorio Arrigoni, Koso Okamoto, Ilich Ramírez Sánchez (alias Carlos) Mordechaï Vanunu...et j'en oublie...

Quelquefois nous oublions injustement des frères à nous.

Dont certains, vivants encore, moisissent dans les prisons. Et d'autres, plus nombreux, dans le caveau de la même amnésie.   Morts pour notre patrie et la leur, mais surtout morts pour nous. Morts de nous avoir tant aimés. De n'avoir pu souffrir la trahison du sang, le désaveu du sein nourricier, l'apostat de l'eau et du sel, la maisonnée, l'air et la terre communes.
Morts sous le caveau ou en prison, d'avoir franchi, pour se souder à nous, des interdits minés. Au péril de leur vie, de l'honneur des leurs -les autres leurs, les leurres des autres, parce qu'ils sont justes et beaux, ces frères, et sachant mieux que le "gratin" de nos autres frères faire la part des leurres et des leurs...

Lisez ce texte, s'il vous plaît:

    "Je ne suis pas musulman, mais je suis Algérien, d’origine européenne. Je considère l’Algérie comme ma patrie. Je considère que je dois avoir à son égard les mêmes devoirs que tous ses fils. Au moment où le peuple algérien s’est levé pour libérer son sol national du joug colonialiste, ma place est aux côtés de ceux qui ont engagé le combat libérateur.
    La presse colonialiste crie à la trahison, alors qu’elle publie et fait siens les appels séparatistes de Boyer-Bance. Elle criait aussi à la trahison lorsque sous Vichy les officiers français passaient à la Résistance, tandis qu’elle servait Hitler et le fascisme.
    En vérité, les traîtres à la France, ce sont ceux qui pour servir leurs intérêts égoïstes dénaturent aux yeux des Algériens le vrai visage de la France et de son peuple aux traditions généreuses, révolutionnaires et anticolonialistes. De plus, tous les hommes de progrès de France et du monde reconnaissent la légitimité et la justesse de nos revendications nationales.
   Le peuple algérien, longtemps bafoué, humilié, a pris résolument sa place dans le grand mouvement historique de libération des peuples coloniaux qui embrase l’Afrique et l’Asie. Sa victoire est certaine.

    Et il ne s’agit pas comme voudraient le faire croire les gros possédants de ce pays, d’un combat racial, mais d’une lutte d’opprimés sans distinction d’origine, contre leurs oppresseurs et leurs valets sans distinction de race.
   Il ne s’agit pas d’un mouvement dirigé contre la France et les Français, ni contre les travailleurs d’origine européenne ou israélite. Ceux-ci ont leur place dans ce pays. Nous ne les confondons pas avec les oppresseurs de notre peuple.
   En accomplissant mon geste, en livrant aux combattants algériens des armes dont ils ont besoin pour leur combat libérateur, des armes qui serviront exclusivement contre les forces militaires et policières et les collaborateurs, j’ai conscience d’avoir servi les intérêts de mon pays et de mon peuple, y compris ceux des travailleurs européens momentanément trompés."

Henri Maillot (à droite sur la photo) a écrit ces mots alors qu'il rejoignait le maquis des fellaghas dans les Aurès, le 4 avril 1956. se battant contre la France coloniale pour l'Algérie indépendante. Deux mois plus tard, le 5 juin 1956, il sera arrêté, torturé puis, alors qu'il criait:"Vive l'Algérie indépendante!" fusillé d'une rafale de mitraillette.

samedi 16 mars 2013

Pour le 40e jour du martyr



Aujourd'hui 16 mars 2013, les Tunisiens se recueillent pour le 40e jour du martyr Chokri Belaid.

Dans les rites funéraires de tous les peuples et nations, le 40e jour qui succède à sa perte, quelquefois aussi à son enterrement, est dédié à l’agrégation du  mort. Le rituel commémoratif et sa journée peuvent varier d'une culture à l'autre, mais l’agrégation semble conserver partout la même signification. Prise au sens strictement rituel, religieux ou pas, elle signifie d'une part la célébration de la levée du deuil pour les vivants, et d'autre part -pour le mort, sa consécration à la dignité ancestrale. Le rite musulman d'agrégation ne se distingue pas des traditions funéraires ancrées un peu partout autour de la Méditerranée, en particulier chez les communautés judéo-chrétiennes. C'est une occasion pour la famille, les proches et les amis du défunt de se rassembler au cimetière, un moment de prière et de recueillement sur la tombe de leur mort, quelquefois aussi la purification du lieu par l'encens et l'eau versée dans un petit vase placé à droite et à la tête de la tombe, c’est-à-dire du mort qui gît dessous. Avec le temps, se sont ajoutés les bouquets de fleurs déposés sur cette tombe, chargés d'une symbolique plus laïque que religieuse. En fait, cette symbolique ne plait pas du tout aux ultras de la religion. En particulier ceux qu'on présume assassins et leur commanditaires de Belaid qui nous intéresse ici. Mais laïques ou pas, ces fleurs offertes aux morts se sont intégrées progressivement au rituel funéraire tunisien. On n'en s'étonne pas dans le contexte tunisien actuel. Ayant la même charge affective que celles offertes aux vivants, pour les Tunisiens qui les dédient aux leurs enterrés, c''est une marque d'amour, d'attachement, de fidélité commémoratifs. Et ces Tunisiens s'en fichent éperdument si l'obscurantisme religieux n'aime ni ses vivants ni ses morts.


Depuis le 6 février 2013, jour de son assassinat, Chokri Belaid a été élevé au rang de Farhat Hachad dans le panthéon de la mémoire tunisienne. Difficile de soupçonner que ses tueurs aient pu réfléchir à une telle rançon du crime en passant à l'acte. Même si l'on imagine mal ses assassins faisant un jour leur mea culpa, il est certain que leur lâcheté a donné au martyr bien plus que ce qui lui a été ôté par les balles. Et ce n'est pas tout. Elle a d'ores et déjà laminé leur sainteté  à ceux qu'on présume commanditaires de tel assassinat. Puis commanditaires ou pas, impliqués jusqu'au cou dans les violences qui menacent de rendre méconnaissable notre pays. Violences dont ils sont les pères apologistes,  et les promoteurs perdants puisque le peuple, dès le lendemain des élections du 23 octobre 2012, les a désavoués.

Engagé depuis ses années lycée dans le combat politique, militant puis chef de l'UGET dans les années 80, déclaré par les pouvoirs successifs fauteur de troubles de sa prime jeunesse à sa mort, Belaid était l'un des leaders les plus populaires de l'opposition tunisienne. Avec Hamma Hammi, porte-parole du Front Populaire, parti dont il était depuis le 7 octobre 2012 le secrétaire général, il incarnait pour la gauche et le peuple des déshérités en général le porteur, dans son sens large, de l'espoir socialiste et égalitaire. Ardu défenseur des droits de l'homme et de la justice sociale, sous la toge de l'avocat ou l'habit du citoyen, sur les plateaux de télévision ou dans la rue, Belaid n'a jamais transigé avec l'honneur du combat, le courage ni avec sa conscience de révolutionnaire. Il a connu la prison à l'époque de Bourguiba, subi les harcèlements policiers sous le régime de Ben Ali, les menaces de mort et les agressions sous le gouvernement de la troïka,  mais toujours fidèle à sa stature de leader et ses idéaux politiques, en aucun de ces moments difficiles il n'a reculé ni fait cas d'aucune intimidation politique.

Certes, le 6 février 2013 Chokri Belaid a payé de sa vie cette noble témérité. Mais le peuple, outre qu'il a immédiatement signifié aux assassins qu'ils paieraient tôt ou tard leur acte lâche, a apothéosé,  en une journée que l'histoire n'oubliera pas, le martyr. A ses funérailles nationales le 8 février 2013, près d'un million et demi de Tunisiens, femmes, hommes, enfants, qu’aucun évènement national antérieur, quelle qu'en fût l'envergure,  n'avaient rassemblés dans l'histoire de la Tunisie, étaient au rendez-vous. Et c'était pour rendre à Belaid des honneurs funèbres sans précédent. Mais dont le souvenir hantera à leurs derniers jours les tueurs et leurs commanditaires.

Pour célébrer ce 40e jour du martyr, l'auteur de ce blog a rassemblé, en morceaux choisies, quelques mots vivants du martyr lui-même et d'autres qui ont été dédiés en hommage à sa mémoire.

Mots vivants de Chokri Belaid

"Il y a parmi ceux qui voulaient m'agresser [le 23 janvier 2012] des gens pour qui j'ai plaidé, et plaidé à un moment où ils ne trouvaient aucun islamiste pour les défendre. J'ai été ciblé par la police de Ben Ali pour avoir défendu ces gens-là [les islamistes] et dénoncé, moi et quelques confrères, la question de la torture. Nous étions au barreau tunisien une infime minorité à oser pareille chose. Aujourd'hui, ils se laissent "charger" [contre nous] parce que ce sont les ennemis jurés de l'intelligence."

[...] 
C'est une longue lutte historique qui continue, entre d'une part une force rétrograde, passéiste, armée de sa culture de la mort, avec sa violence, sa négation de l'autre, sa pensée unique, sa couleur unique, son souverain unique et sa lecture unique du texte sacré, et d'autre part la pensée qui plaide l'humain, qui évolue dans une perspective plutôt relativiste, laquelle voit dans la Tunisie un jardin à mille fleurs et autant de couleurs, qui autorise la divergence dans la diversité mais régie par les vertus civiques, pacifiques,
démocratiques.

[...]
La création littéraire et artistique n'est pas justiciable. Un poème, une œuvre théâtrale, une chanson, un film, aucun magistrat sur terre ne peut prétendre que statuer là-dessus relève de sa fonction ou sa compétence. La création artistique et littéraire s'évalue et se corrige par les critiques spécialisés dans ces domaines, et non par les tribunaux..."
Chokri Belaid- Extrait d'un plateau de TV en date du 23.01.2012L'enregistrement intégral traduit en français:



Hommages à Chokri Belaid


Marcel Khalife:  Ohé, le Beau!

"A
Chokri Belaid:
Ohé, le Beau! Quand la folie de la haine s'est emparée d'eux, ils se sont abaissés pour souiller de
boue tes habits. La lumière du matin les a offusqués aux yeux injectés par la débauche nocturne des coquins qu'ils sont. Et leur fétide haleine a empesté la senteur du jasmin.
Oh, l'ami! Poussés par leur haïssable avidité, ils se sont rués sur tes coffres pour pill
er ce que tu as. Mais le fardeau du butin était trop lourd pour qu'ils puissent l'emporter.
Camarade, ton pardon des injures a explosé dans des tempêtes qui les ont jetés à terre et leurs rapines se sont ensablées. Ton pardon était dans la pluie du sang, dans le lever du soleil teint au henné, rouge de colère. Et quand la Tunisie du peuple t'a demandé de façonner à partir de sa vie un modèle qui sorte de ton coeur, elle t'a vu le syncrétiser en puisant tour à tour dans ton feu, ta force, ta vérité, ta générosité et ta paix.

Avec tout mon amour. "
Marcel Khalife -
Traduction A.Amri



Tounès Thabèt : Ami, si tu tombes, un ami sort de l'ombre à ta place
"Quand sous les balles perfides, tu vacillas, la terre s’est dérobée sous nos pas, nous, tes orphelins. Quand ton sang rougit le sol, mille colères ont grondé et sonné le tocsin de leur règne chancelant. Quand la pieuvre s’attaqua lâchement à tes mots de braise, le tonnerre a soulevé nos rues. Quand les loups ont volé le chant de Nadhem Ghazali sur tes lèvres, un volcan est né qui emportera leurs cris hideux.
 
Roc majestueux, où puiser la force de te survivre, toi qui as donné ta vie avant le temps, à l’heure de la traitrise, quand tu découvris le visage de la lâcheté de ces « assassins que craignent les panthères » ? A l’heure de l’adieu, tu brisas les barreaux de nos peurs et les portes cadenassées de nos angoisses.

Ils s’attendaient au silence, espéraient que la terreur nous étoufferait, que nous serions hagards et pétrifiés, que les mots gèleraient au fond des gorges, que le sel des larmes nous aveuglerait. Mais, « Dieu quel fracas que fait un Camarade qu’on tue »… Un bruit assourdissant emplit nos rues, la clameur couvrit leurs appels au meurtre, leur projet exécrable, leurs mots qui charrient rejet, accusations calomnieuses, déferlante de haine...."  

La suite de ce bel hommage ici.

A. Amri: Préface d'un poème de jeunesse de Belaid traduit

"[...] Ce sur quoi nous devons nous arrêter ici, concernant précisément ces cris lapidaires, et si besoin "embrouiller" le lecteur dans les  digressions nécessaires à la remise dans son contexte du poème de jeunesse de Belaid, c'est le clash par procuration fait aux blasphémateurs de  la gauche arabe. L'identité révolutionnaire de l'auteur et sa couleur, enracinée dans l'histoire,  confrontée à tous les clichés dont ils furent affublés, aux mensonges débités à leur endroit et à l'encontre des divers politiques ou intellectuels de cette gauche, que ce soit en Tunisie ou dans le reste du monde arabo-musulman. C'est ce que nous appelons ici clash par procuration. Avant d'en confier l'exécution au poème, rappelons deux ou trois points ici,  ne serait-ce que pour fournir aux non arabophones quelques clés indispensables au décryptage du texte.  
Pour commencer, nous dirons que ceux qui, en Tunisie ou ailleurs, ont pu se faire une certaine idée, ne serait-ce qu'à travers les médias, de la verve étourdissante de
Chokri Belaid, ceux qui ont aimé ses inoubliables coups de gueule contre le pouvoir et les forces réactionnaires en Tunisie ou ailleurs, ne manqueront pas de reconnaître dans ce texte la même veine, la même fougue révolutionnaire qui animait jusqu'à sa mort le leader du MOUPAD(3). Celui-ci n'aurait rien concédé au jeune qu'il était, si ce n'est la peau pas encore assez tannée par l'épreuve et le candide radicalisme du verbe, le ton impulsif appelé à s'adoucir dans la maturité, à sortir des vieilles ornières doctrinaires.

Écrit vingt-six ans avant l'assassinat de son auteur, ce poème, et qui s'en étonnerait? est devenu aujourd'hui une relique de Chokri Belaid. Il n'est que de voir le nombre de partages dont il bénéficie sur les réseaux sociaux, Facebook entre autres, pour mesurer ce que l'effusion de sang a valu et aux assassins et à l'assassiné. Ce don généreux tour à tour consenti et reçu à travers le présent poème montre, après les funérailles nationales grandioses de Belaid, que  la pensée libre et révolutionnaire de cet homme, ce qu'il incarnait de son vivant, inexpugnable, inextricable, restera toujours en vie.  Le jeune poète ne soupçonnait pas que la même main assassine, lapidée par sa voix alors qu'il n'avait que 23 ans, rééditerait le crime à travers sa propre personne. Il ne soupçonnait pas non plus que le panthéon qui a donné à Mrawa sa juste place dans la mémoire des peuples arabes, ce
temple dans lequel il a déposé lui-même son bouquet de roses, lui réserverait le même honneur sitôt assassiné..."

(L'article intégral et le poème traduit sur ce lien)



A. Amri, statut fb publié en date du 6 février 2013


"Ce qu'ils visaient à travers ta personne et ta stature, Chokri, c'est la voix de stentor. La plaidoirie du Maître. La robe qui réverbère la lumière du jour. Le défenseur du droit toujours debout, l'avocat qui ne trahit l'ayant droit ni n'accepte en son nom le moindre compromis de conscience, la moindre lâcheté. Ce qu'ils visaient à travers ta personne et ta stature, Chokri, c'est l'argument percutant qui les met à quia. De tout temps les lâches sortent la hache quand, à court d'argument, ils sont réduits au silence.
Ce qu'ils visaient à travers ta personne et ta stature, Chokri, c'est le soleil qui incommode aux yeux. Les vampires et chauves-souris, ceux qui viennent du cloaque de fange et des ténèbres, ne supportent pas la lumière dont réverbère ta toge.

Quatre balles ou cinq tirées à bout portant pour bâillonner le stentor. La mort nous a ravi un homme, mais pas sa voix.
Ton combat continue, Chokri Belaid. Et nous ne préjugeons pas de cet instant où les balles logées dans ton corps se révèleront clous enfoncés dans le cercueil de tes assassins. Le cercueil de nos bourreaux.
"

A. Amri
16.03.2013

jeudi 14 mars 2013

Pour les nez tournés à la friandise: samsa

C'est probablement en l'été 2009 que j'ai dû goûter pour la première fois aux friandises samsonales.

Difficile de dire,
pour un rescapé du vingtième siècle, ce qui donnait à cette samsa-là son bouquet, ce fumet divin qui, instantanément, m'y a fait tourner le nez. Sans doute la pâte d'amende épilée, verte fraiche émondée, en elle-même gracieuse et toute vertus pour le gourmand des verdeurs samsonales. Étalée, et pas talée du tout, sur sa couche veloutée de miel, de ses pignons blancs  hérissée, et pistaches pleines. Enlacée de la diaphane feuille de brick veloutée, robe légère et tout sensualité, comme ces ailes de demoiselles libellules, et tout autant diaprée, qui froufroutent pour l'émoi des sens et leur bonheur aux heures à souper des soirées estivales(1).

C'était à la faveur d'un plateau Nessma TV, été 2009, que je dois ce que les conteurs de romances appellent coup de cœur,
fatal, pour le duo SAMSA.

Mais quitte à exacerber l'appétence du lecteur que je soupçonne, dans tous ses états, papillotant des yeux -et des papilles et leur palais papillonnant- pour la friandise qui fleure bon la samsa mais tarde à se faire servir, je voudrais digresser un peu pour parler d'un texte, lu à peine une semaine avant ce plateau. Sans les mots et leur pouvoir, la facture de tel texte et le paratexte fracturant ma résistance à la télé, pour toutes les douceurs de la terre je ne me serais planté durant une heure trente, ni trente sans l'heure, devant aucune embaumée brise TV!(2)
Donc, à peine une semaine plus tôt, au hasard d'une prospection web de gisements littéraires pour pédagogue, alors que je cherchais un support sur la musique et ses vertus, je me fis accrocher par un titre des plus racoleur en la circonstance: Respirer un air de musique. Écrit par une Marocaine vivant à Paris, qui ne tarderait pas à me prendre elle aussi dans ses rets friands. Le texte m'avait travaillé, laminé pour être moins résistant à certaines télés. Et m'a donné l'avant-goût pour le moins alléchant de la samsa dont il parlait, louée pour ses bienfaits miraculeux, surtout, recommandée aux cardiaques!
Cardiaque je ne l'étais pas moi-même ni ne le suis, dieu merci, mais jouant souvent avec les mots et leur homonyme, et jouant plutôt cœur que trèfle ou carreau, il m'arrivait souvent de craindre que je n'en arrive, au bout du rouleau,  à ne pouvoir soutenir mes jeux de maux/mots qu'à la faveur d'une bouteille d'oxygène, abouchée à mon cœur! Oui, car aux dires de la Marocaine -plume sorcière- qui parlait de Skander Guetari et Sana Sassi sur tel ton, la samsa tunisienne retape presque les cœurs esquintés!

Je ne saurais trop recommander la lecture de cet article
(3) qui illustre mieux que mes propos décousus les vertus toubibables de Samsa.

En l'été 2009 si je ne me trompe, à l'exception de ceux qui vivent dans la sphère de la capitale ou celle de Sousse, et suivent

Alem Jdid, premier album de SAMSA

assidûment le calendrier de leurs manifestations culturelles respectives, le large public tunisien ne connaissait pas encore ce duo. Le bizertin Skander Guetari, résidant à Paris après avoir bivouaqué un certain temps aux USA,  et Sana Sassi sa coéquipière compagne d'art et d'exil originaire de Sousse mais née en France, pas plus que le pâtissé label SAMSA qui les unit, encore une fois si je ne me trompe pas- n'avaient pas, à proprement parler, pignon sur rue tunisienne.

Et pourtant, le tandem guitariste chanteur-chanteuse
poétesse, n'était pas né à la maternité Nessma TV. Cofondé en l'an 2005 à la ville de Sousse, à peine deux ans plus tard SAMSA conquiert un tronçon de chemin ensoleillé dans la cour des grands. Premier Prix des groupes au Festival de la musique tunisienne pour l'année 2007, et bien que méconnu par nos télévisions comme la plupart des talents qui osent se rebiffer contre la médiocrité, Samsa avait déjà fait depercées, et pas modestes, sur l'autre rive de la mer. Déjà chacun à son titre personnel dès le début des années 2000, ils avaient pu conquérir, tantôt auprès de dilettantes se comptant sur les doigts, tantôt d'un public plus large, des salles parisiennes et d'autres réparties dans plusieurs villes en France. Sana, mordue de poésie et cultivée, écrivait ses propres chansons ou reprenait des succès tunisiens et orientaux, Hédi Jouini et Oum Kalthoum entre autres. Et Skander, non moins cultivé bien que sa guitare soit autodidacte, a tant gratter si bien ses cordes avait réussi à sortir un premier album dès 2004. C'est dire que la méconnaissance de la mère patrie n'empêcherait pas le duo à sang pour sang tunisien  et pas avare de son amour pour la patrie de nous donner, bienfaits de la musique diplomate,  mieux que les ambassadeurs et consuls en titre, partout nommés(4). 

Je voyais et entendais donc pour la première fois, comme beaucoup de Tunisiens, ces deux jeunes voix. Et le tandem avait de quoi me ravir. Non seulement par ce qu'ils avaient pu chanter sur le plateau ce soir-là(5), à la fois novateur par ses airs, sa rythmiques, et sang pour sang pâtissé pour les nez tournés à la friandise. Mais aussi et surtout par ce qui a pu les faire croiser en France et chanter en tandem. Alors que l'un et l'autre préparaient chacun son doctorat, en littérature française du Moyen âge pour Sana, en génie informatique pour Skander. Concilier les voies estudiantines et artistiques, toutes deux ardues, répondre à leurs exigences respectives, en même temps qu'aux exigences professionnelles parallèles, Skander étant employé à temps plein comme ingénieur dans une société IBM, Sana devant  travailler elle aussi, ne serait-ce qu'à mi-temps afin d'assurer un minimum d'indépendance matérielle vis-à-vis des siens, c'est fantastique. Et pour soutenir une telle gageure et s'en sortir victorieux, ils ne pouvaient que forcer l'admiration.



Aujourd'hui docteure et
docteur dans leurs domaines respectifs, et chanteur et chanteuses dans leur tandem avec publics conquis de divers pays! Sana aujourd'hui mariée et peut-être mère ou mère projet, Skander pas encore (ni père ni marié -si ce n'est l'un et l'autre projet à ma connaissance) et la gageure toujours soutenue et soutenable!

Bref, on a tous les ingrédients faisant de SAMSA la friandise
tunisienne à chant pour chant sensas, et l'inédite samsa à cent pour cent pâtissée exclusivement pour ceux qui raffolent des friandises!

Pourquoi exclusivement? parce que le beau, bon, onctueux, intelligent en un. Et en chacun. Multiplié par deux pour faire ce tandem qui chante, défie, enchante et rend fière d'en être mère la Tunisie.. peut avoir aussi ses profanateurs,  ennemis jurés du Beau(6).







A. Amri
14.03.13


1-
Que l'on veuille pardonner à l'âme damnée de poésie ces incessants tours de derviche autour de Samsa. Sana Sassi et Skander Guetari qui ont trois "S" en commun, mais surtout, sans être casaniers ni chauvins, un enracinement culturel dans le socle samsonal, à travers SAMSA WORLD ils hissent haut la bannière identitaire qui est la leur et qui ne mérite pas qu'on disserte outre-mesure dessus. Mais pour le vertige du derviche, à part le gustatif de Samsa il y a aussi le sonore et ludique des noms propres: Sana Sassi/ Skander Guetari.  Le derviche tourneur y perçoit le sauna de Sana, où ça sue de Sassi! la source mythique, la bénite fontaine de jouvence dont sourd la douce part de pâtisserie! Sinon -sous les cornes dures- il percevrait aussi l'autre guitare que Guetari ne gratte pas et le scanner de Skander... Je dois stopper le derviche tourneur ici, sinon par ses folles pirouettes il risque de me ramener au sauna de jouvence et scanner toubibal à recommander aux cardiaques! On en parlera des cardiaques en leur temps.


2- Allusion à l'éponyme de Nessma TV dont la traduction est "Brise TV".

3- Sur le blog "Courant alternatif" (il n'y a pas de risque à se faire électrocuter par cet alternatif!!) de Sarra Grira. Ci-dessous l'image d'un extrait:

Cliquez sur la photo pour l'agrandir



4- Voici un petit exemple, mais combien éloquent et expressif, de ce que ces chanteurs, diplomates par excellence de la culture tunisienne, rapportent au pays. Les mots ci-dessous envoyés par Thierry Blanc, Français et ayant eu lui aussi un coup de cœur pour la samsa tunisienne. Certes pour remercier d'abord un traducteur, mais pour dire la joie, le bonheur que lui procure la facture de la chanson samsonale. Lisez plutôt!
 

"Merci, merci pour cette traduction... Chaque fois que j'écoutais j'étais ravi (mélodie, voix, instrument) et en même temps terriblement frustré: de quoi cela parle-t-il, ces sons qui rebondissent et dansent dans mon oreille et ma tête que sont-ils? Maintenant je sais... et pour moi l'obsédé du mot, l'assoiffé de poésie, ça me va!"

T
hierry Blanc, dimanche 4 décembre 2011.
5- Ils ont repris de vieux succès tunsiens, Hédi Jouini et Saliha, et chanté Fi-ramchet-aïn في رمشة عين(en un clin d’œil), qu'on peut (re)découvrir -avec traduction en sous-titrage- sur ce lien.




6- L'expression "ennemis jurés du Beau" n'a pas besoin qu'on la défende dans le contexte tunisien actuel. Mais puisque la note est là, pour l'honorer disons que depuis le 23 octobre 2011, voire quelques mois avant, l'art pâtit en Tunisie du mal islamiste: agressions perpétuelles contre des chanteurs, des groupes de musique, des artistes de tout genre, des poètes, intellectuels, journalistes, opposants politiques de toutes couleurs...dans une croissantade obscurantiste contre le Beau, l'Intelligent, le Libre. Les chevaliers à la Triste Barbe (7) de cette croissantade ouverte qui, le 6 février 2013, a coûté aux Tunisiens le Hachad de la révolution Chokri Belaid, ne sauraient saliver ni approcher du nez cette samsa païenne.


7- Les âmes damnées  de littérature classique ne me pardonneraient pas cette analogie sous-entendue par quoi j'aurais mis côte à côte l'Ingénieux Hidalgo Don Quichotte de la Manche et nos bourrues barbes en manche (et sauf respect des dames damnées des Belles lettres, sans le manche!). Pour prévenir tout contresens, il n'y a rien de commun entre l'enfant de plume racé de Cervantès et les décervelés bâtards de ma plume! 



Lien extérieur:

Pour en savoir plus sur la discographie de SAMSA

http://samsaworld.bandcamp.com/

mardi 12 mars 2013

A toi petit frère que l'enfer tente

Encore une hostie sur l'autel expiatoire et propitiatoire du feu. Encore un feu frère aux feus Bouazizi et ses frères de feu...

Ce matin comme tant d'autres baignés de tristesse et sentant le rossi, sorti des faits divers le temps d'un flash qui passe, avare de son temps précieux: un frêle corps a brûlé. En fin d'infos servi, diligemment à l'heure du déjeuner, comme pour nous titiller duvet de nuque et les narines.


Ce n'était ni à la tombée du jour. Ni au fort de la nuit. Ni, noir et par un soir raffolant d'encens qui moutonne, un chevreau. Ou toute autre hostie expiatoire ou propitiatoire pour notre salut.

Pouvant sortir le pays de ses tribulations. Exaucer les vœux dévots à ne plus susurrer aux saints Sidis et leurs séides thuriféraires, les uns comme les autres faisant la queue à la file des chômeurs, leurs cartes et marabouts étant brûlés. Embaucher les élus du chômage que leurs Élus n'entendent plus, fort à propos -il faut dire, car ne les retrouvant plus dans les dernières statistiques revues de près et corrigées. Résoudre les problèmes de l'économie en passe d'être toute résolue. Faire pleuvoir dru sur la Tunisie l'or qu'attendent en file indienne tuk-tuk importés depuis la Thaïlande pour le bonheur du tunisien eldorado.


Mais au grand jour, et tout aussi vert que le dernier, pas moins vert que le premier, un jeune brûlé par le pyromane et tunisien désespoir.


Sans être noire hostie chargée de nos péchés, il a déposé dans le vase des cendres victimaires ses peines et nos fautes. Sur le bûcher des dieux chthoniens qui raffolent de la tendre chair nôtre, il s'est offert corps et biens perdus méchoui accommodé aux essences pétrolières, grillade de foie salée et tête aux quatre épices avec le chou-fleur de la cervelle, propitiatoire et devant allécher la pluie qui boycotte printemps et sa terre. Et faire baisser d'un cran le prix des denrées qui nous flambent, et mangent toutefois crus.


Sans préjuger, à en juger toutefois par l'affluence vers les mosquées à l'heure où l'encens du corps moutonne, dans l'enchantement des dieux chthoniens. Et l'indifférence des minarets pressant vers la prière ses fidèles.


Frêle comme le feu dernier et tous les feus frères de feu, sur le bûcher de notre misère. Un autre frère à Bouzizi.

Un bout d'enfant comme tel, au bout du chemin et du rouleau, venant à bout de la vie qui, pour l'avoir trop supporté, n'en voulait plus de lui.

Dis-moi, petit frère, jusqu'à quand devrons-nous, sur l'autel de ces dieux humains qui insultent notre misère, immoler des Bouazizis? Jusqu'à quand permettre que soient grillés par le feu nos oisillons et leur duvet? Et la coque à peine éclose de nos œufs couvés?

Jusqu'à quand, petit frère, intenter contre la misère abstraite de ses orfèvres, contre seulement ses outils d'orfèvres, la charrette, le chariot des sandwichs ambulants, la mallette des parfums diplômés, le renommé carton à cigarettes bédouines qui sillonnent les rues, la citadine caisse à cirer bivouaquant dans les parages des cafés, aux cafés la chaise louée à l'année sans l'acquit et la quittance, la mendiante tzigane et les Gavroches des rues à arpenter d'impasse en impasse, sans y jamais capturer vif bout d'espoir, sans jamais vive bout d'espérance. Et le silence qui sirote à petites lampées et grandes nos vies, et la cadence des portes refermées sitôt on y frappe. Et les lettres jamais rendues par facteurs et PTT, mortes closes sitôt timbre aux PTT payé et tamponné?

Et ces procès que nous intentons contre l'indifférence, le silence, la mort, par nos corps devenus insupportables, invivables, sans la dignité qui les fasse tenir debout?

Jusqu'à quand, petit frère, intenter ces procès coûteux et sans verdict de justice contre les fourchettes et les couteaux des pyromanes. Et mythomanes. Et mégalos aux chaises trouées qui dans l'aisance rotent et nous découpent. Et sans Dieu pour déposer contre eux?
Sans Dieu à chaque fois, toujours absent, jamais convoqué pour comparaître à la barre des témoins et montrer du doigt ses pyromanes assassins.

Ils sont là, petit frère, assis à l'ombre de l'Absent, les superbes présents d'Allah qui nous comblent! Sans présents -ni le présent qui les voie- pour la bouche épouse de ramadan. Sans présents à part l'absolue prédication de Sa parole absolutoire. Qui ne permette à épouse de cocufier son ramadan!

Là, qui nous mènent à tous les abattoirs, tantôt à la prompte massue qui ne sait lire ni écrire(*), pour notre salut éternel -disent-ils,  tantôt à la douceur des maux qui nous laminent, à la divine piqûre de fatwas, toutes aussi promptes que la massue, qui "la" piquent et nous la massent!

Là, toujours diligents, petit frère, pour nous mener droit au paradis, et dans la camisole de force, à nos fers ferrés. Sinon l'enfer nous voyant fourvoyés sur le chemin, au dernier mangera ceux qui auront survécu aux bûchers terrestres!

Écoute le mufti qui roucoule, cravachant nos maux! Regarde-le nous montrant de la pointe du sceptre qui soulève ses bas côtés à l'ample robe des cieux, gracieuses à qui les brigue et mande au bout du chemin des méritants, au milieu du jardin mérité, de mille bassins et fontaines dorées entourées, les douceurs divines!

Regarde, petit frère, sous les basques qui s'évasent, ce que nous réservent les divines alcôves qui nous enchantent!

"Et hue! dia! croyants! Vous en voulez ou pas de ces douceurs divines?"

Les appas et l’appât que marchands d'illusions nous injectent dans leurs piqûres. Pour nous décapiter. C'est qu'ils nous veulent tous des Bouts à zizi, comme Mohamed Bouazizi mais sans la tête! Pas cogitant du tout, à la rigueur si cogiter nous tente, ne cogitant que par le tronçon de chair retranché de son bout!

C'est pourquoi, outre les bûchers sataniques de Bouazizi et ses frères de feu, ils ont inventé, sacrés, les bûchers de la haine divine. Des tonnes de Bouzizis s'y jettent au fil des jour, entre les ablutions de la prière matinale et la prière qui scelle le jour. Tandis que d'autres bienheureux attendent leur tour. Tous, dieu merci, rachetables à l'enfer promis pour autant qu'ils acceptent qu'on  leur retranche, à coups de piqûres endormant le cogito temporel et profane, à chaque Bouzizi le tronçon de bout qui pense. Tandis que l'autre, que la géhenne du mufti ne menace de ses braises ni tance, droit et tout ouïe à la coquetterie céleste, aux houris qui minaudent et l'appellent, panse ses maux et leur susurre à mufti le baume de ses dits.

"Va, petit frère, bondis, saute au paradis qui te hèle!" Et le coton céleste, son satin et ses fanfreluches, te tirent du nez. Jihad en Syrie! en série jihad partout! souris aux anges, petit frère, bout de chair martyre qu'on panse! danse autour du feu, le temps que là-haut les promises t'allument un bâton d'ambre! Panse ton machin le temps qu'elles préparent au sultan son bain ambré.

Puis.. au feu! et que ça saute!
Au suivant!...."


Ils sont là, petit frère, assis à l'ombre de l'Absent, les superbes présents d'Allah qui nous comblent! Les pyromanes qui brûlent et fument nos phénix. Et qui clappent et se pourlèchent, tout le temps que le doux fumet leur titille mèches de saints et les naseaux. Ils reniflent haut l'eau de notre sel, le zeste de notre citron et les senteurs zélés de l'estragon au jus de cumin. Ils renâclent fort les essences des hosties, l'eucharistie qu'exhale, toute vertu, nos bûchers. Et quand nos cendres sont servies après dessert aux agapes, à pailles et pincées dévotes se disputant la poudre noire d'Afghan, ils sniffent et crient: Allahou akbar! Dieu est grand!

Jusqu'à quand, petit frère brûlant vert pour les agapes de nos saigneurs, le théâtre de Beckett à vivre guichets fermés, à répéter jour et nuit, à la vie, au théâtre à ciel ouvert de la vie? A quand Fin de Partie sans le noir théâtre, petit frère, et l'absurde noir pour metteur en scène?

Quand enfin ces procès que réclame ayants-droits et les âmes de leurs damnés, qu'il faut engager ici et maintenant contre le désespoir, ses artisans et ses apôtres?

A.Amri
12.03.2013

http://www.jeuneafrique.com/Article/ARTJAWEB20130312100511/

*- Expression empruntée à l'arabe لا تقرا لا تكتب, qui signifie:" impitoyable"

12

lundi 11 mars 2013

Je t'aime et salue ta grandeur altière, Tunisienne!


Que tu sois Besma Belaid ou, anonyme, seulement tu souries de toutes tes dents -ou seulement des yeux- pour nous rappeler en tout lieu et bel aïd tel nom(*)..

Que tu aies pour couronne le martyre d'un camarade, et auréolé de ta dignité altière le deuil d'un peuple..
Et descendes dans la rue et marches fière, hissant au grand jour le V rituel, à la face des assassins déclarant victorieux l'assassiné et sa cause...

Que, sans être Besma Belaid mais du même sang combattant toutefois, tu montes d'un cran, avec le cran pour trône, et pour couronne civique ta résistance de citoyenne, et dises haut aux couillons vaincus :" couillons de mes deux, je vous emmerde!"

Que tu clames vif ton nom de femme sur une banderole flambant de ton feu, que rehausse comme pourpre des rubis la bannière au croissant étoilé..

Que bannière et banderole s'écrivent aux braises ardentes de l'amante à sa mère enlacée, ou sentent, non moins brûlant, le fard de l'amante et son rouge à lèvres..

Ou de rouges lèvres, sans le rouge ni fard aucun, sous la main en dôme tu roules, beaux, irrépressibles, assourdissants, les youyous fiers en salut au camarade monté au ciel, que le martyre apothéose..

Que -sœur de Besma Belaid, et délurée- tu montes au ciel et tances terre d'ordure et fumier pour que fumier et ordure sachent quelle femme tu es...

Ou non moins délurée pour qu'ordure et fumier sachent que tu t'en foutes comme de ta première serviette de jeune fille de la pourriture puritaine qui rêve de rogner ses ailes à la Tunisie, tu ouvres le bal printanier à ciel ouvert, à Sfax ou ailleurs, et danses, danses, danses, avec entrain, grâce, élégance, à ameuter par ta cadence ronde de badauds et danseurs en rond..que tu récidives sur toutes les places publiques..à mettre en transe la Tunisie et bientôt la Méditerranée..

Sous quelque visage tu émerges de la terre qu'ils veulent murer -mais taratata!..

Pour autant que tu sois toujours altière face au fumier, pour danser et résister,  résister et tancer, marcher et résister, résister et aimer, aimer et te battre sans répit, je t'aime et salue ta grandeur altière, Tunisienne!




A.Amri
11.03.13

Notes:

1- Une clé de stylistique que réclame le non arabophone ici: en arabe, le mot "besma" signifie "sourire" (substantif féminin), d'où l'éponyme de Besma (nom propre féminin).
De même, Belaid (nom de famille) résultant de la contraction de ben (fils)+aïd (fête), le calembour "bel aïd/ Belaid" et le jeu poétique "sourire/Besma" s'éclairent ici.

dimanche 10 mars 2013

Jamel Ksouda Et Mohamed Bhar: hommage à Belaid: le sang à étreindre

للشاعر الصديق جمال قصودة الذي يتأهب لدخول القفص الذهبي..أمنياتي ودعواتي بالمؤبد السعيد في رعاية أحلى ملهمة وسجانة، عشتار آلهة الصباح والمساء، والحب والجمال، والخصوبة وسعادة الشعراء الأزلية
Au poète et cher ami Jamel Ksouda qui s'apprête à faire son entrée dans la cage dorée, mes voeux d'une réclusion à perpétuité dans le bonheur conjugal, sous l’œil bienveillant et vigilant de sa tendre muse et geôlière Ishtar, déesse du matin et du soir, de l'amour et la beauté, de la fécondité et la béatitude des poètes


Quand la verve poétique honore le sang qu'elle réécrit, le sang à quoi l'encrier doit la substance fécondatrice du calame, qui pourrait s'étonner que telle verve ait ce mérite de nous enchanter et saisir, tant elle rend aux mots la puissance de tir qu'avait le sang de Belaid vivant parmi nous?
C'est le premier texte de Jamel Ksouda, que l'auteur de ce blog découvre et traduit. Et il en est redevable à l'ami chanteur Mohamed Bhar qui l'a fait écouter sa propre interprétation de ce texte. Magnifique à tous points de vue elle aussi, grâce au talent du luthiste et sa voix engagée, dont le grand répertoire atteste autant de sa valeur artistique incontestée que de sa longévité dans la chanson du combat.

Mohamed Bhar et Jamel Ksouda, la poésie et la chanson, la plume et le luth chanteur, quand ils s'allient à bon droit pour rendre à l'immortel Chokri Belaid ses droits, ne peuvent que nous émerveiller, nous ébahir. Non seulement pour la beauté artistique, non seulement  pour l'esthétique achevée, et sans clinquant de fioriture musicale ou poétique, mais pour la Tunisie dont nous sommes amants.

Jadis quand un guerrier mourait, ou que dix périssaient d'un seul coup dans une tribu arabe, eût-elle à peine le double de ce nombre pour membres, la tribu si elle ne s'astreignait par moments à un deuil pudique, étouffé, parce qu'elle ne devait à aucun prix faire la joie des tribus rivales et ennemies -en révélant de manière ostentatoire ses pertes et ses peines, elle confiait telle perte -et ses  inhibées ou refrénées peines- à son barde. Pour que ce dernier en fasse -quitte à enfreindre la réserve évoquée précédemment- un hymne qui se propage à l'intérieur de l'Arabie (1), puis qui traverse à la faveur des caravaniers marchands les frontières de la péninsule, un chant inouï, une épopée sans pareille à la gloire des héros. Seuls les bardes -parce qu'ayant l'alchimie du verbe, le verbe de l'alchimie, avaient cette prérogative d'exhiber en la circonstance, transmués en l'art altier et ennoblissant du chant qui les exalte, les pleurs et la fierté de la tribu. Ce qui se transformait immédiatement en manne, rétribution de la verve et du verbe coulés au creuset de l'alchimiste, ciselés aux outils de l'orfèvre, les bénéfices de consolation inespérés, voire plus, réinvestis dans la stratégie de mobilisation guerrière tribale.

Cependant, si par malheur la tribu perdait un poète, et son barde surtout, c'était comme si toutes les épées dont elle disposait étaient décimées. Et la tribu en l’occurrence observant le deuil que réclame une telle perte,
pleurait sans réserve
le chevalier des chevaliers, l'irremplaçable barde, la garde et le garde ravis par la traîtresse main de manoun (mort), inconsolables.
Parce que dans une époque où le discours  était le nerf de la guerre(2), ou les "guerres de discours" entretenaient constamment leur course à l'armement, entre tribus rivales, course qui n’envierait en rien celle engagée de nos jours pour la guerre des étoiles, une tribu sans barde, quel que soit le nombre de ses épées, ne pouvait gagner les batailles oratoires, prélude et son épilogue à tout affrontement pied à pied, sabot à sabot, des guerriers belligérants. 

C'est pourquoi jadis on ne reconnaissait à telle ou telle tribus -éparpillées à l'intérieur de la péninsule arabique- la superpuissance et le renom qui s'ensuive que si telle superpuissance locale comptait le ou les meilleurs bardes. Et les mouâllaqat معلقات (publications murales écrites littéralement en lettres d'or (3) et accrochées autour de la Kaaba) étaient en leur temps le Goncourt et le prix Nobel que les "Tribus Unies" décernaient à ceux qui, au delà de tout fanatisme partisan, les méritaient à juste titre.
Parce que le barde de la tribu aujourd'hui s'est subdivisé, donnant au parolier la poésie pure et au chanteur-compositeur l'art de la mettre en musique et l'interpréter, parce que la Tunisie a des poètes et des artistes, et nombreux, semblables à Jamel Ksouda et Mohamed Bhar, quand le peuple lit et entend ces poèmes, ces chansons de geste dédiées au combat de ses enfants, enfants prodigues de patriotisme juste et salutaire, il ne peut que s'en réjouir et applaudir. Belaid assassiné, ce sont mille poèmes, autant de chansons (audibles ou dont on parfait en sourdine les répartitions) -et bientôt deux mille épopées versifiées et chantées, lesquelles, à travers l'hommage au martyr, l'exaltation de ses offrandes à "sa tribu", insuffleraient aux bras se disputant la passation d'armes le sang et le cran de Belaid.  

L'avenir du peuple tunisien, pour une bonne part -si ce n'est la meilleure part, est entre les mains de ces bardes pour qui bloggistes et soldats de la résistance médiatique doivent rééditer les honneurs des
mouâllaqats (معلقات(4, et leur âge d'or. Honneurs et dévotes Kaabas, cela va de soi, et avec -leurs non moins dévots- sept tours de tawaf (circumambulation) s'il le faut, sans peur de ressusciter ce qui passerait pour "rite païen" chez les purificateurs de la Mecque!(5) Parce qu'ayant aujourd'hui le vent en poupe dans les pays du Printemps!  Et il n'y a pas à craindre que la culture de la conscience révolutionnaire et résistante chez les Tunisiens s'essouffle ou disparaisse. Le culte de la verve, poétique ou musicale, chez ce peuple est enraciné, plus fort que que l'obscurantisme qui tente désespérément de le tuer (6). Et dès qu'une plume ou une gorge émerge de "ce peuple d'aigles, rois des sommets, habitués aux sommets"(7), il n'y a pas à craindre que gorge ou plume taise l'amour dont elle vit.
A ce propos, ou presque, Sartre disait que l'écrivain"
une fois engagé dans l’univers du langage, il ne peut plus jamais feindre qu’il ne sache pas parler."(8) C'est pareil pour nos bardes tunisiens. Et par conséquent, il n'est pas à craindre que désertion ni objection de conscience, dans l'art et la poésie du combat, fassent le bonheur  des hordes béotiennes qui profanent l'islam et la Tunisie. (A. Amri, 10 mars 2013)

   
La Tunisie est hors de prix
Tu n'as pas de prix, ô mère patrie!
Du sang versé sur les sentiers lumineux
Chokri a éclairé nos sémaphores
Si tu vises haut, étreins son sang
versé pour ton honneur
sinon meurs, et honte sur le sang de navet
que tu auras dans les veines

La Tunisie n'a pas de prix
Fadhel(5), tu l'avais dit!
Quiconque répand le sang
par ce poison périra
C'est là, virile, la voie des intransigeants
C'est là leur voie à tes amants, mère patrie
C'est la voie du pays en nous
à ne pas laisser descendre aux enfers
tandis que nous aux sommets montant
grâce au sang de Chokri

La Tunisie n'a pas de prix
compagnons de Chokri, camarades!
Et au reste, ses places maintenant
c'est chokri qui les baptise de son nom
Chokri est des vôtres, Amants de la Patrie
et il n'est de rue qui ne le reconnaisse ni ne l'étreigne
dépositaire du testament de nos maquisards montagnards
et des soucis nôtres de la nation porteur

La Tunisie n'a pas de prix
et c'est dans le sang, l'instinct
la fierté de la Patrie pour nous
jamais n'épuise ses sens
Chokri c'est la balle du mot, de la pensée, et leurs boulets
Quant aux balles perfides des lâches
jamais Chokri  n'en faisait cas
Serment juré: par son mérite, son cran et sa mémoire au martyr
jamais Patrie ne baissera d'un cran sa fierté

La Tunisie n'a pas de prix, Chokri
et son peuple de Titans n'est pas sans cran
de tout temps la Tunisie n'a pas de prix
de tout temps nos camarades libres ont du sang dans les veines
Jamais jamais par nous ne sera trahi
ton sang qui au creuset de nos côtes bouillonne

Poésie Jamel Ksouda traduit par Ahmed Amri - 10 mars 2013
Musique et interprétation: Mohamed Bhar

Pour le partage sur les réseaux, la vidéo est publiée sur la chaine youtube webamri

Notes:

1- L'on dira à juste titre qu'il l'est toujours, néanmoins les enjeux étatisés et les vecteurs dominés par des visées politiques et économiques (d'hégémonie ou de lutte contre cette hégémonie) ôtent à ce nerf ce qui en faisait la spécificité, voire la noblesse chez les peuplades passées.

2- L'Arabie dans la péninsule qui en porte actuellement le nom était autrefois divisée en trois parties distinctes: au nord l'Arabie pétrée, à l'est l'Arabie déserte, au sud l'Arabie heureuse qui compose l'actuel Yémen.

3- Cela n'étonnerait que ceux qui ne savent plus aujourd'hui ce que vaut et valait la poésie pour ses chevaliers, mécènes et âmes damnées, quand cet art avait ses lettres et titres de noblesse, lesquels -fort heureusement- même ne bénéficiant plus de l'engouement des masses (qu'on dit indument lettrées parfois) ne sont pas encore tombés en déshérence!  Pour rappel le terme arabe de mouâllaqat  معلقات doit  son étymologie à ilq, pluriel alaq علق، جمع أعلاق، qui signifie "l'argent ou la manne inespérée" à ne pas jeter par la fenêtre, et par extension:"tout ce qui est précieux et qu'on ne souffre voir dilapidé ou pillé par l'ennemi". On ne s'étonnerait pas non plus que pour une terre aussi immense que l'Arabie pétrée, en tout et pour tout ne dépassaient pas les 17 mouâllaqats  معلقات consacrées par cette distinction en période préislamique.

4- Situations II, 1948.

5- Ceux que Chokri Belaid appelle à bon droit les ennemis jurés de l'intelligence, ceux-là mêmes qui ont détruit la stèle dédiée au lieu où il fut assassiné, qui ne se rendent à une galerie d'art, une foire du livre, un local de télévision, une salle de cinéma, qu'armés de la massue purificatrice qui rappelle, mais tristement, le vieux coup de balai débarrassant la Mecque de ses dieux païens, ces zélateurs du rigorisme wahabiste qui infectent le sol tunisien par leurs ravages et la pensée sclérosée dont ils sont porteurs et promoteurs, ces islamistes ressuscitant la triste gloire des vieux Béotiens ne verraient pas d'un bon oeil les Kaabas électroniques qui pullulent et contrarient leur projet. Mais ce n'est pas leurs masues qui nous empêcheraient d'ériger à nos bardes les temples qu'ils méritent.

6- A ce propos Chokri Belaid disait: "c'est une longue lutte historique qui continue, entre d'une part une force rétrograde, passéiste, armée de sa culture de la mort, avec sa violence, sa négation de l'autre, sa pensée unique, sa couleur unique, son souverain unique et sa lecture unique du texte sacré, et d'autre part la pensée qui plaide l'humain, qui évolue dans une perspective plutôt relativiste, laquelle voit dans la Tunisie un jardin à mille fleurs et autant de couleurs, qui autorise la divergence dans la diversité mais régie par les vertus civiques, pacifiques, démocratiques."
(Source en arabe avec traduction ici).

7- Ce n'est pas une emphase sortie d'un chauvinisme tunisien ou de son prurit, mais, parmi tant et tant d'attestations d'amour en même temps que distinctions d'intellectuels et artistes du monde entier pour la Tunisie et son peuple, ce que disait sur une chaine libanaise, au lendemain de l'assassinat de Chokri Belaid, Majida Al-Roumi:
" La Tunisie surplombe l'univers, à partir de sa baie vitrée avancée dans les domaines culturel et artistique, de par ses valeurs universelles, qui en révèlent la richesse tout autant que l'importance. Il sera très difficile, et c'est peu dire, pour ceux qui tentent d'assombrir cette vitrine, de parvenir à leurs fins[...] Le peuple tunisien est un génie titanesque: il ne reviendra pas à la bouteille dont il s'est libéré. Ils ne pourront pas mettre à la basse-cour un tel génie
[...]
Les Tunisiens, tels que j'ai connus, sont difficile, trop difficile à remettre en fiole, et faire accepter qu'on remette dessus le bouchon[...] Quelles que soient l'épreuve, l'adversité, ces tribulations et leur durée, la longueur du tunnel et sa noirceur qu'il lui faudra traverser, le peuple tunisien, peuple artiste, instruit, pour qui le ticket de théâtre prime sur le pain à manger, ce peuple d'aigles, rois des sommets, habitués aux sommets, ils ne pourront pas l'apprivoiser! Ils ne pourront pas lui rogner les ailes, faire de lui une volaille de basse-cour. Jamais ils n'y parviendront. C'est dans sa nature à ce peuple, il n'est pas du tout domesticable! "

(L'intégralité de cette lettre d'amour aux Tunisiens, en arabe et traduite en français, sur ce lien)



8- Né le 8 décembre 1956 dans un quartier populaire de Tunis, Fadhel Sassi s'est engagé presque enfant dans les luttes socio-politiques du pays. Certes, il devait à son père, militant coriace de l'UGTT, les germes de cette conscience révolutionnaire précoce, mais c'est surtout dans les combats estudiantins des années 70 et parallèlement les luttes clandestines du MOUPAD (Mouvement des Patriotes Démocrates) auquel il a adhéré depuis qu'il était lycéen qu'il a fait valoir son véritable parcours de combattant.
Professeur d'enseignement secondaire et poète inédit, quand la révolte du pain a éclaté au sud tunisien le 27 décembre 83, Fadhel Sassi -qui avait juste 25 ans- fut de ceux qui ont transmis l'embrasement, une semaine plus tard, à Tunis et sa banlieue. Mais non sans avoir payé de sa vie le tribut d'un tel combat.
Le 3 janvier 1984, alors qu'il participait à une manifestation au cœur de la capitale, Fadhel est tombé en martyr, criblé par les balles des Brigades de l'ordre public.

Son nom est inscrit depuis au panthéon de l'histoire des luttes en Tunisie.

Ci-dessous le lien d'une chanson écrite et chantée d'abord par Lazhar Dhaoui au lendemain de la révolte du pain en 84; cette chanson-hommage, dédiée d'abord à Fadhel Sassi, a acquis au fil des temps une notoriété telle qu'elle est devenue l'oraison artistique consacrée à tous les martyrs de la répression politique en Tunisie.

Ya Chahid "Martyr" (Oyoun Al-Kalam) يا شهيد - عيون الكلام

Pour le même auteur sur ce blog:

Ishtar, qu'il est bon de te prier!


samedi 9 mars 2013

Quand les cheïkhs prédicateurs appellent à l'asservissement des femmes - Par Tounès Thabet


Tounès Thabet, déjà publiée sur ce blog(1), est une plume de combat et d'amour dont les boulets comme l'archer font toujours mouche. Parce que visant juste, et avec panache, les questions qui hantent le Tunisien, et pas que le Tunisien en vérité, en rapport avec ce Printemps arabe aux fleurs et primeurs viciés par les pirates de la révolution. Si l'ampleur de cette infection virale est à juste titre  bien plus qu'alarmante, et le monde entier a pu s'en rendre compte, et bien avant les assassinats politiques de Lotfi Nagdh puis Chokri Bellaïd, à travers mille et une atteintes aux droits et libertés -lesquelles, quand elles n'impliquent pas directement des ministres et des leaders nahdhaouis jouissent constamment de la complaisance des islamistes au pouvoir, si les témoignages qui se compilent jour après jour, dont l'écrit ci-dessous, renforcent davantage cette impression qui n'a rien de rassurant pour l'avenir du pays,  il ne faudra pas pour autant sous-estimer la résistance citoyenne, les luttes au quotidien d'un peuple décidé à reprendre en main sa révolution confisquée. C'est dans un tel combat où, malgré les justes hantises qu'il ne faut pas taire, l'état d'alerte qui ne doit pas baisser d'un cran, il nous faudra dire aussi, à nous comme au monde extérieur, que les Tunisiens ne se contentent pas d'encaisser. D'ailleurs, et le peuple le dit partout et haut, et les funérailles de Chokri Belaïd retentissent encore de cette vérité éclatante: l’islamisme est en train de se faire laminer jour après jour non seulement par son propre zèle, mais aussi et surtout à la faveur de cette résistance qui ne se relâche pas.
D'où l'intérêt des boulets et de l'archer des résistants tunisiens, dont Tounès Thabet entre autres bien nombreux, et qui acquièrent leur sens exact ici. Car tant qu'il restera des femmes et des hommes debout dans ce pays, tant que la démocratie, la justice, la liberté, le progrès auront leur bastion imprenable et leurs
irréductibles défenseurs, quelle que soit la rançon qu'il nous faudra payer dans ces moments difficiles, nous dirons toujours: force est pour le destin de répondre!(2) Chaque révolutionnaire tunisien digne de ce nom devra le dire, le répéter, y croire, faire sien ce que Samih Al-Qassim dit: "le désespoir est un luxe dont je ne peux pas payer la facture."(3)
Merci Tounès de nous avoir autorisé à rafler avec ta complicité (pour l'acte de résistance et d'amour qui nous attache à notre peuple) ce texte à Dar Assabah et son journal Le Temps! (A. Amri -9 mars 2013)



«Seul, l’esprit de lutte est immortel»
«Femmes, c’est vous qui tenez, entre vos mains, l’avenir du monde»
                                                                                                    Léon Tolstoï
La Journée de la Femme, célébrée mondialement le 8 Mai, nous rappelle l’évènement fondateur bien tragique : une grève féminine réprimée par la violence, devenue symbole de résistance et de lutte pour les droits et les libertés. En Tunisie, jusque là, ce fut fête fade et cérémonies fastidieuses, sans âme, avec discours pompeux, mots ronflants et creux.
Journée mondiale de la femme
Quand les cheïkhs prédicateurs appellent à l'asservissement des femmes
«Seul, l’esprit de lutte est immortel»
«Femmes, c’est vous qui tenez, entre vos mains, l’avenir du monde»
Léon Tolstoï
La Journée de la Femme, célébrée mondialement le 8 Mai, nous rappelle l’évènement fondateur bien tragique : une grève féminine réprimée par la violence, devenue symbole de résistance et de lutte pour les droits et les libertés. En Tunisie, jusque là, ce fut fête fade et cérémonies fastidieuses, sans âme, avec discours pompeux, mots ronflants et creux. Mais, depuis deux ans, les femmes sont la cible d’attaques véhémentes : intellectuelles, responsables politiques, journalistes, artistes, militantes voient leurs libertés remises en causes et nous constatons, tous, une régression grave de la situation féminine. Les acquis sont menacés, alors qu’on voulait que le Code du Statut Personnel réalise de réelles avancées. Le discours sexiste et discriminatoire se fait entendre, des prêcheurs ignares sont invités pour tenir des propos ignobles sur l’excision, la polygamie, l’éducation des petites-filles soumises et esclaves d’idéologie de la honte. Certains pseudo cheikhs font le tour des maternelles pour conditionner des esprits juvéniles et exhibent leurs sourires béats en tenant dans les bras des poupées grimées en « bonnes musulmanes », touchées par la « baraka » de prédicateurs inondées d’argent sale, en mal d’ouailles adoratrices.
Nous ne comptons plus les nombreux cas de femmes violentées par certains qui défendent les causes perdues : atteintes à l’intégrité physique, insultes, injures... L’intimidation est devenue l’arme des fossoyeurs des libertés. L’école est le lieu de l’embrigadement idéologique : apprentissage de la soumission en tuant tout esprit critique et fanatisation des jeunes victimes, enrôlement des futurs djihadistes qui prennent la route hasardeuse du combat, persuadés de libérer des pays qui ne sont point les leurs, convaincus de mourir en héros, alors qu’ils sont destinés à périr, abandonnés, inconnus, sur les champs de batailles fratricides, ignorant qu’ils ne sont que de la chair à canons au service d’intérêts politico-stratégiques des grands de ce monde et de leurs acolytes. Les femmes ne sont pas épargnées, victimes de fatwas pernicieuses, elles sont destinées à assouvir les pulsions sexuelles des combattants d’un islam dévoyé. Les familles et surtout les mères des martyrs vivent l’enfer, lacérées par la disparition d’enfants sacrifiés pour satisfaire la voracité des assoiffés d’argent et de pouvoir.
Nos intellectuelles sont sous le collimateur d’une censure implacable, surveillées, épiées. Leurs réflexions, leurs déclarations, leurs critiques font l’objet d’indignation, d’attaques virulentes de la part de nos gouvernants qui ne tolèrent aucune remise en question. La justice est, sans cesse, sollicitée pour faire taire ces voix discordantes. Nos représentantes à Varsovie, à Stockholm, à Athènes, à Helsinki ont été révoquées abusivement pour des raisons fallacieuses. Les militantes sont inquiétées et poursuivies.
Le malaise grandit, surtout chez ces femmes rurales, si nombreuses, le cœur battant de la Tunisie, qui ont trimé, leur vie durant, main d’œuvre exploitée, soumises chez elles, dans les champs, dans les usines, dans les ateliers. Levées aux aurores, les dernières couchées, parcourant des kilomètres à pied, qu’il vente, qu’il pleuve ou neige, elles sont bien mal loties. Leurs maigres revenus offerts aux maris, souvent chômeurs, nourrissent une famille nombreuse, elles rêvent de sauver les enfants de la précarité et du dur labeur, sacrifient leur jeunesse et leur santé pour scolariser les petits. Quand arrive le jour des résultats du bac, les youyous fusent à la gloire du lauréat qu’on fête comme il se doit. La réussite est suprême récompense pour les jours d’épuisement et de privation. Mais, la joie va faner, car un nouveau combat commence : accompagner l’élu dans ses études supérieures avec des privations encore plus douloureuses. Le bout du tunnel semble proche, quand le diplôme arrive, enfin. Mais, elles déchantent, tellement les lendemains des fêtes sont amers : le chômage fait irruption dans ce qui devait être la délivrance. Les mères courage, épuisées et déçues, doivent se battre, encore et toujours. Elles reprennent leur fardeau pour assouvir les besoins du chômeur, désormais, bien exigeant car réclamant plus d’argent pour cigarettes et autres besoins. Les dépenses sont énormes, surtout quand le groupement du développement agricole n’assure plus l’eau et le transport, quand elles doivent se débrouiller pour survivre.
Misère et rancœur, la vie de ces femmes se réduit à cela. Elles deviennent victimes faciles des opportunistes de tout bord qui les séduisent avec des aides, même dérisoires, les attirent entre les griffes des prédicateurs et les prédateurs. Leurs filles sont mariées bien tôt pour les sauver de la pauvreté, mais, elles se retrouvent piégées par des maris et non des compagnons et le chemin de croix reprend avec son lot de divorces et de séparations, d’enfants déchirés et de douleurs.
Une double fracture d’injustice sociale : la pauvreté vécue comme malédiction. La marginalisation économique et sociale crée une faille, un fossé qui ne cesse de s’aggraver, entrainant des milliers de victimes dans sa chute. Un sentiment de ressentiment à l’égard d’un système qui a montré son échec et ses limites et a précipité la société dans la misère et, bientôt, le chaos. Seules et abandonnées, ces femmes luttent, pourtant, avec la force des pourvoyeuses de vie, s’agrippent à la fatalité, à l’espoir pour continuer ce chemin torturé qui est le leur. Certaines nous étonnent par leur prise de conscience des enjeux et de l’avenir. Les défis affirment leur volonté de lutte et cimentent leur solidarité. Elles retrouvent, chaque matin, le désir de recommencer. Longtemps, elles ont été rejetées par certaines mentalités rétrogrades les considérant comme inférieures. Ce sentiment tend à disparaître car on se rend compte qu’elles partagent ce rêve commun pour une Tunisie, réconciliée avec elle-même, menant ce combat recommencé pour la justice et la liberté car, de lui seul, jaillit ce que communément, nous appelons la vie. Cette lutte est âpre, pénible et incessante et comme l’a écrit Sénèque : « … On s’aguerrit dans l’épreuve, on résiste à n’importe quels maux et si l’on trébuche, on lutte à genoux. »
                     Tounès THABET
                

Vendredi 08 mars 2013, aux publications du quotidien:
     

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