samedi 6 avril 2013

Dans le sillage de Kafka: le procès qui traine

C'est un vieux papier tiré de mes archives mal-aimées. Texte apparemment voué à quelque autel expiatoire, écrit à la bile de l'encre dans les années 80. Je ne me rappelle plus ce que le pécheur de l’époque, l'Absent qui se terre sous le pronom de la 3e personne, a pu commettre comme gaffe pour entamer sa descente aux enfers. Je ne sais plus si tel ego de Joseph K... erre encore dans son désert de fugitif, sans la face et son ombre, l'une et l'autre perdues dans l'acte d’auto-justice auquel il s'est soumis, si la mauvaise conscience le poursuit toujours, hargneuse, ou clémente- de longue date l'eût guillotiné. Mais à relire ce procès exhumé de l'oubli, je voudrais dire au pronom de l'Absent, à son âme, aux anges qui la consolent au ciel, sinon aux démons qui la torturent à l'enfer: puisse ce texte réhabilité par moi pour la jeune plume martyre pardonner à l'Absent ce qu'il put commettre !

(Feuille I)

Sans trop savoir pourquoi, tout bêtement, insensément il a commis l'irréparable. Et sitôt revenu à lui-même, quand il a pu se regarder une dernière fois dans le miroir, sa première réaction fut de donner un coup de boule, un vrai coup de plafond, à la face méconnaissable que tel miroir reflétait.


Ni les éclats de verre et leur fracas, les échardes restées au front, les tessons au cœur, ni le cadre du miroir se ressentant de sa vacuité ne purent rendre à l'homme ce qu'il avait perdu.

Qu'est-ce qui aurait pu le conduire à une telle chute
?
Jamais il n'en percera au juste le mystère. Pour cogiter
là-dessus, et juste,  il faudrait retrouver d'abord ce qu'on a perdu. Le miroir en face de soi. Ou sa face dedans.  

Peut-être fût-ce le coup d'une sidération. Le vrai coup astral tel que décrient, oraux ou romanesques, les vieux récits des bergers lunatiques. Une sidération qui frappe sans préavis, le scorpion, le sagittaire, l'influent rayon qui tire sa langue au serpent, servant ses crochets à venin qu'il dilate, et la morsure qui s'ensuit, injectant le
traître trait  dans l'artère vive du cerveau. Démoniaque, imparable, la possession, puis la dépression, le cafard. Le délire. L'épilepsie qui ronge son sujet. Et le léger chef supplantant la tête qu'on avait entre les épaules.

Paul Hella - Pierrot de la lune
On erre, on divague... La lubie. Et l'irréparable.

Assurément un accès de folie. Bien plus qu'une absurde lubie de poète. A ce moment-là on
ne sait plus pourquoi, ni comment on flanche. Pourquoi, d'habitude la tête sur les épaules, bon chic bon genre, subitement on tombe si bas. On perd la tête.

Peut-être bien, au sens littéral du mot, une sidération.



La lune d'autrefois qui charmait les poètes. La muse qu'on osait tâter des yeux. Désuet ce désir-là quand l'encombre, sombre comme la mort, et tout aussi oppressant que ses affres, le venin qui serpente, violente les reins et l'échine dorsale, en coupe et découpe des vertèbres qui sautent, n'arrête de sillonner de ses zébrures le corps martyr, ni d'infuser dans les veines le poison mortel. Quand battant la chamade comme une guerrière, et nue, qui se meurt dans son dernier réduit, l'âme hurle: assez, venin! fais-moi violer son fort pour tâter sur sa chair la peau! c'est ça, ou la mort cérébrale.  Je ne tiens plus, je capitule.

Maintes fois autrefois la poésie capitulait.
Le lait que tétait la plume, la lune qui subjugue le poète -l'arpète n'y verrait que triviale métaphore de tutu, mais le têtu calame ou le poète, comme jadis, n'y voit que, pure, la force sidérale qui dicte. A la voix de quoi la verve se plie.

Dessus on tique. Et baigné de tel éclat, on lisse la grâce et on écrit.

L'inconscient, peut-être, tourmenté par la plénitude et ne sachant quel péril sous le moelleux contour, que l'amour transi magnifie et cache, couve des yeux sans plus sentir l'effet pervers de son charme.

Peut-être bien un coup de soleil.
Lui qui aime tant les bains de soleil. Alors que l'astre est au zénith, si brûlant, splendide, qu'en bas la peau sans masque ni semblant de parasol se délecte à tel hammam.

Peut-on,
sous l'empire des sens, en venir à dire n'importe quoi? Quelquefois oui. Oui, toujours. Mais lui qu'aurait-il pu dire, délirant, à l'astre resplendissant du jour, pour en subir le contrecoup et la tourmente, si ce n'est: tu m'éblouis, tu m'aveugles. Mais va! je cède à l'ascendant quand bien même il brûle. Et si j'en meurs calciné, hourra le martyr! Peut-être bien un coup de soleil de tel ordre. A s'en mordre de plaisir les lèvres qui boivent sa coupe dorée, le cristal quand il chante, quand il hante de ses inflexions torrides le candide dévot qui les boit, quand, morsure après morsure, le soleil entame le bastion inviolable du poète, qu'il brise la porte cadenassée du temple. Et souverain, tyran, implacable il soumet à l'irrévocable diktat la plume déplumée. Et plume, ou plumet, le calame se signe. Et signe des acrostiches que le maître déchu, le poète, n'avait jamais écrites, tant qu'il avait le nez du poète!

Sous la
cruelle dictée des puissances sidérales, signe seul le stylo putschiste, quand n'assume plus ses dits le poète démis de l'autorité magistrale.

(Feuille II)

II- Le procès-verbal
 
Viscérales tes lamentations, tes peines, poète, mais "au delà de la condamnation et de l'enfermement, chaque homme reste libre en lui-même"(1). Maintenant, assume, ou crève!

Ta putain de lubie, ta folie sidérale, la puissance que tu ne saches appréhender ni définir,  lune, dis-tu, de mes deux! soleil, l'étoile polaire, Satan, la milice céleste, peu importe son nom! c'est du délire, du toc, des alibis pour que tu puisses boire ta honte! Arrête ce charivari sans sel ni cumin! Et dis-nous, putain, où au juste tu veux en venir?

Ayant déposé les armes, dis-tu, et signé l'acte de capitulation, tu as cédé. Parfait! c'est beau! et te voilà blanchi, le chantre au chant de cygne! sorti comme le cheveu de sa pâte de farine!
Bon sang, bon dieu! si tu crois qu'à ce prix-là, c'est l'acquittement pur et simple, tu te goures, tu te mets le doigt dans l’œil, et dans l’œil de ton tutu la plume! 

Et pourtant, tout ce qu'il dit n'est pas charivari.
Tout ce qu'il sait, ce dont il est sûr, c'est que dès l'instant où sa plume, trempée dans l'orbite astrale, n'obéissait plus qu'à la voix invisible, lui-même n'était plus qu'un possédé. Qui écrirait ses maux. Peut-être. Et de piètre façon. Mais dans les mots de la voix qui avait conquis le calame, qui dictait, succube à son scribe, la consonne astrale et sa voyelle! Et au fur et à mesure que la phrase s'étirait, que le vers saturait la phrase, les maux infectaient le poème, le calame qui s'en flattait.

Taratata!
Tandis que réduit au silence, poète -tu veux dire, ferré ou serré dans sa camisole de force, dirais-tu, le pauvre maboul de poète n'était plus maître de ses mots.

Tu te fous de qui au juste? De ton soleil ou ton étoile polaire? Ose dire encore que seule la plume sous l'ascendant qui l'emporte, forte de l'encre qui la remplit et qu'elle éjacule -ose dire que pendant que ta coquine de plume glisse lisse sur le papier, toi maboul poète, dessaisis  de ton sceau de signataire, dessaisis de tes terres à fou qui ne peux plus les administrer, terres annexées et soumises au pouvoir central du calame, toi pendant ce temps-là, en attendant que les Nations-Unies s'unissent contre ton conquérant, tu ne faisais que tourner dans l'orbite astrale, satellisé, tel le derviche tourneur sous la voûte des cieux! Ah le pieux qui tourne sous les basques du ciel, tout miel pour sa lune, et pour son soleil cierge qui brûle sous l'ascendant!

Pas du tout! annexé, c'est sûr, colonisé aussi, dépendant et soumis à l'impériale autorité du conquérant...
Con quérant ta plume! Ah, quel traître coup il t'a mis si bas, knok out dès le premier round!
MARIA DOINA CUBLESAN
Coucher de soleil huile sur toile
Et va dire encore  pourquoi cette folie qui s'éveille aux maux que flatte le poème, quand le poète n'est plus maître de ses mots, que la plume glisse et dérape, le sape en traître et tire du nez, lui dicte les vers à tirer des narines, l'aveu à cracher.



Dis-le, maboul de poète, dis-le qu'on te pardonne, que c'est sous tel diktat, peut-être, tu peux savoir pourquoi et comment, en traître sapé et du nez tiré par l'ascendant qui dicte, tu as tout craché !

Je plains ton air de chien battu. Mais au demeurant, tu n'es qu'un chien qui aboies à la lune!


(Feuille III)
III- Pro domo le plaidoyer


Et de piètre façon, le même chien qui aboie à la lune et serine un air à son saint, a péché à l'endroit du Beau.

A l'endroit du soleil, de la lune ou l'étoile polaire, il n'en sait plus rien, il a commis, capital, le péché qui le met au couloir de la mort.

Alors qu'il voulait seulement délester le ballon que le vent faisait baller, au bout de sa ficelle. Seulement lâcher un renvoi, éructer gros ou gras, peu importe, soustraire son dedans à la pression du gaz qui monte, le sur-plein étant intenable. Et les côtes exigües pas assez élastiques pour en supporter l'oppressant fluide.

Folie, oui!

Lubie de poète, tempête qui emporte la chape de plomb.
L'éruption du volcan dont on ne soupçonne pas un tel débordement, quand la cratère craque, que les laves en feu s'épanchent, coulent sur les flancs, calcinent le bois vert et le sec. Et que, sulfureuse, irrespirable, la fumée monte.



A ce moment-là seulement, putréfié, incrédule, on se tape la tête contre le mur. Dur on se la tape! A donner des frissons à la pierre, la brique ou le béton qui répond à la moelle du crâne.

Marcel Bataillard: Peintre aveugle
Alors que jusque-là, aveugle et sourd, on tordait son cou à la roteuse! en lorgnant sur les deux coupes, alignées sur sa table, qui boiraient, trinqueraient,  et le moment venu roteraient!

Pouah! que c'est amer ce champagne!
Quand on se dit poète, et déboussolé, on assassine le noble, on souille le beau.

On se laisse prendre quelquefois à son propre jeu. Comme par le balai l'apprenti sorcier. Trop sûr de soi, trop con, l'air fringant on saute sur la pente lisse. On pirouette en l'air. Un peu grisé de se sentir léger.

La tête a beau dire attention. On fait la sourde oreille.

Et chenapan, saltimbanque, on se rit du mage tapi en soi, le visionnaire qui se cabre, se défausse de votre jeu pas conforme aux siennes normes, les règles de sa pâte altière. On n'écoute pas le fier. On fait le fier. Et comme sur des patins de farfelu aveugle et sourd, on glisse allègrement à la lisière de la pente savonneuse.

Le faux-pas n'est pas loin. On siffle le soleil. Son soleil à soi. Comme une fille coquette par l'enhardi garçon. On siffle au disque. On croit maîtriser son jeu, son art sorcier. Et hop !

Les beaux patins vous envoient coqueter avec le ravin!

Comme l'apprenti sorcier par son balai trahi.

Quelle vilaine mouche a pu le piquer, quelle folie pour commettre un tel faux-pas! Le faux-pas, et si bas les ronces
où s'enfoncent les pieds. Pour la chaussure et son double-fond pas trop douillet, pour la chatouilleuse plante du pied et la beauté de la couronne à porter sur le front.

Bon dieu! bon sang ! quelle bévue !


(Feuille 4)
IV- Le réquisitoire

Et pourquoi tant de dégâts?
Le monde était beau sans le pot traître de l'égoïsme.
Un verre de cristal à la main, la plume écrivait ce que dictaient les maux. Mot à mot elle chiffrait

Carolus Durand: l'homme endormi
le pouls du cœur, l'acide de la tendresse qui s'écoulait entre les lignes, taisait les cristaux de sel quand ils brûlaient dedans les côtes, interdisait leur poudroiement sous les paupières, altière et sublimant les maux. Que c'était doux de savourer le nectar d'un tel verre, de confier ses vers au cristal pour les chanter! Doux de sentir s'alourdir ses paupières quelquefois. De cette eau d'argent que le calame, viril, refoule pour n'en pas souiller l'encre pure, l'azur diamant de son encre, la parure de sa poésie. Doux de s'assoupir quand la plume tombe, ivre de sa fatigue au bout d'une nuit féconde et tant de feuilles enfantées. Doux de se faire réveiller par une brûlure au lobe de l'oreille, le premier rayon du soleil que la vitre n'a pu stopper, chaud, beau, et venant gratifier la plume dévote, la prêtresse thuriféraire qui s'était endormie à l'autel.

Pourquoi avoir cassé le cristal ? le quartz qui irradiait le soleil et s'en irradiait ?

Sans l’égoïsme et la tyrannie de la cécité, qu'aurait-il pu escompter de si beau à tenter la prouesse
"A la mer seule nous dirons
quels étrangers nous fumes
à la fête de la ville."
(Saint-John Perse)
grotesque, la valse et son vertige, le saut en l'air et la pirouette ? Aveugle idiot, et qui patine sur la glace ! et pourquoi ? pour la gageure de l'idiot, l'idiote prouesse à étaler pour soi, qui dira un jour à Don Quichotte: preux chevalier à la Triste figure, à la faveur de ta lance et rossinante ta dulcinée à la chevelure solaire et à la cristalline voix à toi seule va chanter ce soir. Ce jour, bel égoïste, à toi seul va briller le soleil!

Inénarrable !
Pourquoi la mer s'est-elle tue ?

Plus de vagues ni mouettes qui plissent à l'eau et au ciel ses pans attendris. Plus de ris ni les Grâces pour enchanter le récif, mouiller ses falaises, humecter d'air frais son nez..

La bévue parfaite, inégalée, la grossièreté monstre !

Le monde était beau sans l’égoïsme profane.

L'étale mer offrait à la poésie son sein nourricier. Dedans les côtes et sur les côtes, il faisait bon sentir l'écume des vagues, se souler aux chants des sternes, promettre à l’horizon sa bouteille à la mer.
Et se taire....




Conclusion: Si vous êtes Cancer comme le fakir chevillé à sa planche à clous, méfiez-vous de la lune et ses méfaits allant croissant au fur et à mesure de la plénitude astrale. Méfiez-vous aussi du soleil s'il a sur vous un ascendant qui vous fasse prendre des bains de canicule à son heure zénithale. Si vous êtes sudiste, étoilé ou pas, ne commettez jamais l'erreur fatale de coqueter dans vos rêves avec l'étoile polaire. Si vous êtes égoïste, demandez tout à la mer, sauf qu'elle devienne pour vous, et pour une nuit -sous la pression d'une folie, d'une lubie, d'un alibi, ou d'un lobby lunatique- un bar pour le seul verre qui boira sans trinquer !

A. Amri

Inédits de déni (1980)
06.04.2013

Ulysse et la sirène des mers



Heureux qui comme Ulysse a vécu à Djerba

Et cependant que là-haut cent huit prétendants
Pénélope repoussait par son fil vingt ans
A l'absent fidèle et chaste sous sa koubba



La-bas sur l'île enchantée par ses poétesses

Ulysse l'ingrat, de vers gras et foie se gavait
Cent huit sirènes des mers nuit et jour l'émouvaient
Vingt ans durant chez la Tunisie son hôtesse

A.Amri
06.04.2013

Les Frères Musulmans et l'inconséquence bahreïnie

Quand on parle en série de la Syrie -et de vive voix, puis très bas -ou pas du tout, du Bahreïn..
Quand au Bahreïn ce sont 80% du peuple en révolte, alors qu'en Syrie c'est le mégavolt du courant wahabiste et son colt qui se révoltent surtout, et non pas le peuple syrien..
Quand l'Occident soutient d'un côté, et pas de l'autre, on sait pourquoi..
Mais quand les cons d'un côté soutiennent ce qu'ils appellent peuple, et de l'autre une monarchie..
Le deux poids deux mesures des Frères Musulmans, c'est lamentable..le sang confessionnel est sûrement islamiste, mais il n'est pas de nous. Il n'est pas musulman.




Eux les Frères-de-la-Pureté-confessionnelle ne voient pas à gauche, côté Bahreïn.
Ou alors seulement quand il faut y dépêcher les pompiers et mater l'incendie, parce que l'impie insurrection chiite ne mérite pas le noble nom de révolution!
Les chiites et leurs manifs c'est kifkif le shit et sa fumée, libanais ou bahreïni, les Frères-de-la-Pureté-confessionnelle n'en sniffent ni kiffent, ni prou ni peu, qui se shootent plutôt au seul Afghan pur. Et depuis deux ans, en vertu des fatwas frappés au sceau du halal, et aphrodisiaques, ils prisent aussi le sang syrien qui grise!

Qu'on leur dise qu'il y a tout un peuple au Bahreïn qui mérite que les camés lorgnent de son côté, et ils vous diraient: pouah! cette came-là, Allah nous en protège, est pur haram, haram, haram, par Allah! kifkif le harem du frère au Frère-de-la-Pureté-confessionnelle! N'y touche ni attouche au harem de la fratrie, sauf pris en partouse avec le Frère qui vous y convie! Quand sa Majesté Al-Hamad et sa majestueuse couronne,  pour la légitime tout autant que les illégitimes n'ayant plus de jus, rappellent à la rescousse du pis de chameau les eunuques sunnites de Wahab!


A.Amri
06.04.2013

vendredi 5 avril 2013

Okamoto - Mokhtar Laghmani (Traduction)

Mokhtar Laghmani, l'étoile filante de la poésie tunisienne,  avait conçu ce poème alors qu'il devait avoir juste 20 ans.
 
En cet été de l'an 1972, après l'attaque de l'aéroport israélien du Lod1, le 30 mai, par un commando de 3 étudiants nippons appartenant à l'Armée rouge (JRA), s'est ouvert, le 12 juillet à Tel-Aviv, le procès de Kozo Okamoto, l'unique rescapé dudit commando. Et alors qu'un tribunal militaire jugeait ce survivant, les médias arabes -tant au Machreq qu'au Maghreb, ne cessaient de rendre hommage au brave internationaliste rouge ainsi qu'à ses deux compagnons morts, qui avaient quitté familles, pays, université et douceur de vie pour servir en terre arabe un idéal révolutionnaire.
 
Mokhtar Laghmani, alors jeune étudiant et poète communiste2, ne pouvait que saluer à son tour ces fedayins de sang non arabe, venus, si prodiges d'amour pour la cause palestinienne, du « pays du Soleil-Levant » . D'où ce poème intitulé "Je t'aime Okamoto".
 
 
 

Je t'aime Okamoto
Je t'aime ô l'humain frère
Nonobstant vétos muftitiques
A la fraternité interconfessionnelle
Mais qu'importe si l'on ne t'a pas seriné le Coran!
Qu'importe si tu n'es pas de la Nation élue!
 

 

[C'est que dans notre sang commun à nous]
Quand les volcans conçoivent
Fondent toutes les races
Tombent toutes les religions
C'est ainsi qu'ont déchu
Toutes les couronnes 
Que sont morts
Les héros byzantins
Et leurs pairs hellènes
De même Antar
3
Et Ali Ben Sultan4
 
Tous les héros sont morts
Mais demeure l'humain






Mokhtar Laghmani (milieu des années 70)

Traduction Ahmed Amri
05.04.2013





==== Notes ====

1- Rebaptisé à partir de décembre 1973 "Aéroport international David-Ben-Gourion"
 
2- Poète arabe pré-islamique du VIe siècle, réputé pour l'amour qui l'attachait à Abla: amour impossible, le poète étant fils d'esclave noire. Antar était réputé aussi pour sa bravoure de chevalier.


3- Héros d'un conte de la tradition orale.
 
4- Né à Zarat en 1952, et mort à Tunis à l'âge de 25 ans en 1977, Mokhtar Laghmani est le neveu du poète Ahmed Laghmani, Il avait toutefois choisi une voie diamétralement opposée à celle de son oncle, étant engagé à gauche, aussi bien politiquement parlant que sur le plan purement esthétique. Mokhtar fait partie des pionniers du vers dit "non-métrique et non libre". 
 Après des études primaires à Zarat, Mokhtar rejoint le Lycée de Gabès (l'ex-Manara qui regroupait l'actuel Abou Loubaba et Al-Manara) et obtient son baccalauréat en 1972. En 1976, il obtient une licence ès lettres arabes. A peine nommé professeur au lycée de Testour en 1977, il meurt (deux mois après) des suites d'un ulcère chronique. L'ensemble de ses poèmes a été publié de façon posthume dans un recueil intitulé «أقسمت على انتصار الشمس» - الدار التونسية للنشر - تونس 1978 (littéralement: J'ai juré que le soleil vaincra).






lundi 1 avril 2013

Claudia Cardinale ou l'oiseau qui n'oublie pas son nid

Nul ne guérit de son enfance, chante Ferrat.

C'est, à coup sûr, vrai pour tout humain. Et davantage, je crois, pour ceux qui quittent le pays natal et n'y retournent jamais, si ce n'est longtemps après, le temps de voir que les repères ont disparu, que la rue qu'on croyait ramener à son enfance reconduit à son exil, que le pays qu'on aimait, les bien-aimés du bon vieux temps et ses bonnes gens n'existent plus. 

En 1955, une jeune fille de 17 ans, en tout méditerranéenne et de toute beauté, débarque à Venise, venant de l'autre côté de la Méditerranée. Elle porte sur la tête la couronne d'une reine, le diadème de sa beauté. Et elle vient de Tunis, sa ville natale, où pour avoir grandi dans le Foyer des combattants, pendant que la Tunisie s'apprête à arracher son indépendance, elle devance celle-ci pour s'arracher la sienne. Reine de beauté, elle s'est adjugé le titre l'autorisant à conquérir  le monde. A travers le 7e art qui l'invite en Italie, pour gratifier « la plus belle italienne de Tunis » et la consacrer à la gloire.

En vérité, dans la tête et davantage le cœur de cette belle Claudia Cardinale âgée de 17 ans,  c'est surtout le titre de la plus belle tunisoise d'origine sicilienne qu'elle voulait s'attribuer; et la belle aurait aimé qu'on dît d'elle aussi: la plus belle tunisienne d'origine sicilienne. Parce que tel gentilé aurait révélé son véritable pays natal et sa belle étoile, le foyer des combattants et sa chaleur humaine, Tunis et sa douce Tunisie qu'elle venait juste de quitter, et qui lui avaient décerné son titre de Reine, et non pas l'Italie. Elle était "miss Tunis", non "miss Rome".

Et parce que fille prodige de la Tunisie, alors même qu'elle ne reviendrait au pays que bien des années plus tard, Claudia Cardinale n'a jamais oublié le nid. En cela semblable à l'oiseau qui prend son vol, convoite les hautes altitudes et conquiert les sommets, sans jamais, comme elle l'écrira elle-même plus tard, oublier son nid».

En quittant la Tunisie en 1955, parmi les effets personnels soigneusement pliés dans sa valise et dont elle ne se séparera jamais: deux pièces vestimentaires, et tout l'insolite de leur appareillement. L'un poids léger, l'autre poids lourd, pour l'amour comme pour le pugilat pas du tout enfichables! Il serait difficile d'imaginer la logique composant cette paire mathématique, la dialectique et l'aimant conciliant ces disparates(1).

Mais justement, dirait-on, qu'est ce qui, à part le disparate, l'opposé, pourrait donner sa force d’attraction à la dialectique? La clé n'est-elle pas au trou de la serrure son opposé? Le mou au raide, et Sade au Masoch, le féminin au masculin, et le masque au visage qui s'en pare; le père à la serrure dépositaire du principe fécondateur ne sont-ils pas, entre mille contraires et paires indissociables, l'arable terre de la vie? 

Cependant ce que les maux et ce qu'ils connotent peuvent (et doivent) pervertir pour servir les mots ne peuvent rendre compte du noble, la sublime poésie qui se lit quand Claudia Cardinale déballe sa valise et le mystère de son couple d'inséparables. Deux pièces vestimentaires dont l'une est en nylon fin, et finement féminine. Tandis que l'autre virile et de laine bourrue. Un bikini et un burnous!

Unis pour le bon comme pour le pire, superbement enlacés dans les effets personnels de Claudia Cardinale! Deux pièces emblématiques, c'est sûr, et conservées dévotement comme le plus saint des reliques.

Emblématiques?  Oui. Parce que le bikini c'est à lui que la Belle de Tunis doit le titre Miss. Le voyage à Venise et l'odyssée à venir dans l'univers du septième art. Le burnous quant à lui c'est pour y mettre à l'abri  sa douce Tunisie et son Tunis, quand en Suisse, ou à Venise, sur les glaciers polaires du Nord, ou ailleurs, on se trouve sur des terres qui s'alanguissent du soleil tunisien!

N'est-ce pas beau les amours cardinales, le cérébral amour de sa Tunisie?
Toute sa vie, quand Claudia la présumée italienne ou sicilienne décline ses racines, évoque son pays, c'est soudé soit au possessif "ma", soit à tel possessif et l'adjectif "douce", de sorte que la Tunisie dans sa bouche, et davantage dans sa pensée, ne se dessaisit jamais de ses parures sublimes, de tels câlins affectueux! 
Et si les points cardinaux ont un sens pour la vie itinérante entre les studios de Hollywood et les différents lieux soumettant l'actrice et sa valise aux valses incessantes des tournages, le pèlerinage de l'âme, le cœur qui voyage, tout aussi itinérants que la valise, ne reconnaissent qu'un seul point cardinal pour la qibla de l'amour, sa boussole aimantée et l'ascendant orbital du cœur ainsi satellisé: sa douce Tunisie.

La célébrité et ses vertiges ni les honneurs et leur éclat qu'elle a reçus tout au long de sa carrière ne l'ont tentée un jour de céder à l'oubli ses reliques. Ni,  pour le cinéma le plus grisant et ses fééries, troquer une seule image d'autant de bobines conservées en tête, le film de ses 17 ans vécus au paradis perdu. Nul ne guérit de son enfance. Ni de sa douce Tunisie Claudia, qui en garde bikini et le burnous.

En 1960, soit cinq ans après sa couronne tunisienne, interprétant le rôle de Pauline Bonaparte dans Austerlitz (film français réalisé par Abel Gance) on la voit faire un clin d’œil à la Tunisie de sa couronne. Dans une scène de chorégraphie et dans toute sa splendeur sensuelle, Claudia Cardinale porte un diadème surmonté d'un croissant. Un signe, et non insignifiant, qui semble avoir été conçu bien moins par dandysme guindé de Pauline Bonaparte que par la fierté de l'actrice arborant un fétiche tunisien. Et pas lequel. L'insigne emblème pas toujours en bons termes avec la croix! Pour tous les Tunisiens qui ont vu le film,  sauf à se méprendre sur le code ésotérique d'un tel symbole islamique et tunisien, c'était -venant de Claudia Cardinale- un message d'amour des mieux orfévré, un gage de tendresse et de fidélité inoubliable.

En 1993, membre du jury pour la sélection officielle des longs métrages au Festival de Cannes, pour avoir entendu si près d'elle des cris  venant du pays, Claudia Cardinale en a la chair de poule. "Il y a des sensations, dira-t-elle 16 ans plus tard à ce propos, qui restent gravées dans le cœur pour toujours."
Et pourtant, on serait tenté de croire que la scène ayant motivé pareille émotion ne serait qu'anodine.
Le jour de l'ouverture du festival, au moment où elle monte les marches sous le mitraillage des flashs de photographes, elle entend des voix criant:«Claudia, Ta Tunisie! » Elle s'arrête, cherche des yeux un moment puis se tourne vers les Tunisiens qu'elle a reconnus dans la foule. Et c'est par de chaleureux et longs signes de baisers avec les mains qu'elle répond à ces patriotes du foyer combattant, leur répond et les remercie de lui avoir donné de sa Tunisie un tel cri du cœur, l’irrépressible élan d'amour dont elle même n'attendait que pareille circonstance pour l’extérioriser en toute spontanéité.
 
En 2004 au Maroc, le Festival international du film de Marrakech rend hommage à Claudia Cardinale en lui consacrant son édition. Le jour de clôture, montant sur scène pour remercier les Marocains qui l'ont comblée, c'est surtout en citant et récitant la Tunisie qu'elle formule ses remerciements les plus vibrants! Enfant prodige qui n'oublie pas que sur tel pan de terre maghrébine elle était presque en Tunisie, la larme à l'œil Claudia Cardinale crie alors, et fort, l'amour ineffable, l'incurable nostalgie des racines, l'attachement inaltéré au doux pays de son enfance.

En 2009, Claudia Cardinale a 70 ans. Des enfants qui ont grandi et des petits enfants qui auront le temps de grandir. Et ne guérissant jamais de cette Tunisie qui elle-même grandit en elle, mais sans jamais vieillir, elle décide de lui dédier un livre écrit de sa main, avec les mots de son cœur, et illustré tantôt par des photos de    « la plus belle italienne de Tunis », tantôt par les plus belles photos des lieux qui hantent encore la mémoire sexagénaire. Écrit en français, puis traduit vers l'espagnol, intitulé « Claudia Cardinale, ma Tunisie » (Timée Editions - France 2009) C'est à la fois un récit biographique de bout en bout poignant où l'auteure parle de son âge d'or et un hommage à son peuple avec qui elle a grandi "au foyer des combattants".

Claudia Cardinale est venue de nombreuses fois en Tunisie, mais auparavant elle a transmis à beaucoup d'amis l'amour de la Tunisie. A sa propre fille c'est l'incurable attachement que celle-ci a du sucer avec le lait maternel. Les deux fois que les Tunisiens ont pu être prévenus pour rendre à Claudia Cardinale une part de l'honneur qu'elle leur a toujours prodigué, c'était à la faveur de tournages de films, en Tunisie, auxquels elle participait. Le premier en 1976: Jésus de Nazareth tourné à Monastir. Et c'était par des légions qu'on venait chaque jour pour la saluer et rester des heures à la voir sur les lieux de tournage. Le deuxième en 95 pour Un été à la Goulette. Et les Tunisiens lui avaient alors offert quelque chose d'inouï, une scène presque épique, où l'authentique et la mise en scène apothéisaient la star revenue au pays(2).  Celle-ci en dira:"j'ai découvert toute la population de la ville réunie pour m'applaudir. C'est un fantastique souvenir et un cadeau unique."(3)

Quoi de mieux pour conclure ce papier dédié à l'oiseau fidèle au souvenir de son nid que de donner la parole à l'oiseau enchanteur:

"Longtemps, on a dit de moi que j'étais la petite fiancée de l'Italie. C'est vrai, je suis d'origine sicilienne, et c'est à Rome que ma carrière s'est envolée. J'avais alors vingt ans... et je ne parlais pas un mot d'italien. Moi, je viens de là où le soleil réchauffe les cœurs et les corps, là où la douceur de vivre n'a d'égal que la perfection des paysages et la chaleur des sourires. Claudia Cardinale n'existait pas encore. J'étais Claude, et j'étais née tunisienne. J'ai sauté dans le train. Celui de Tunis, qui m'amenait de la Goulette à Carthage. Celui de la vie, qui m'a guidée à Monastir, face à la caméra de René Vautier et Jacques Baratier. Hasard ? Destin ? Qu'importe : j'ai toujours aimé prendre le train en marche. Mon train à moi, il m'a permis de traverser les océans. Et puis, souvent, il m'a ramenée chez moi. Aujourd'hui, c'est à moi de vous convier à ce voyage. Un voyage sur les traces de mon enfance, des plages de Carthage au village de Sidi Bou Saïd. Mais aussi un voyage dans la Tunisie d'aujourd'hui, celle que j'ai appris à découvrir, celle des nomades, des oasis, des dunes et des palmiers. A dix-sept ans, je suis partie pour Venise. Dans ma valise, j'avais emporté un bikini et un burnous, ce grand manteau typique de mon pays. Le premier m'a rendue célèbre. Sous le second, j'avais caché la Tunisie. Bienvenue dans ma Tunisie. " Claudia Cradinale - Ma Tunisie (Timée-éditions - France 2009)


  Extrait de "Eté à la Goulette" (film tunisien)

A. Amri
02.04.2013

Lien extérieur:

Ali Riahi donnant l'aubade à Claudia Cardinale



Notes:

1- Qu'est-ce qui pourrait emblématiser un bikini couvert par un burnous, faire embéguiner le fin nylon de la bourrue laine, ou vice versa, pour qu'ils s'appareillent le plus naturellement du monde dans la valise de Claudia Cardinale? Il serait intéressant de sonder l'avis de Marzouki là-dessus, bien que ce dernier n'ait rien à se reprocher concernant sa laine, celle-ci ne supportant de près ni de loin l'haleine de la cravate!

2- Pour la scène voir l'extrait vidéo ci-haut "Eté à la Goulette". Ce film dans son intégralité est disponible en ligne.

3- Claudia Cradinale - Ma Tunisie (Timée-éditions - France 2009)

dimanche 31 mars 2013

علي زمور: قريتوش نص جديد في الثورية؟




لا أيسار لا قومية لابعث لا يمين لا ماوية
هزوا العباءة شوية تخرج الثورة رافع البيرية
-1-
قريتوش نص فتاوي
وثوره جديده يقودها القرضاوي
إرمو السلاح ... ماعاد شيء يساوي
كيف العباءه رمز للحريّه
وماهي غريبه بالبخور والجاوي
نقدر انغرّق بارجه حربيّه
-2-
ببركة عباءه خضره
وبعض الدّعاوي من الشّيوخ الفقره
وضرب البنادر السّاخنه في حضره
وانشاد من المالوف والصّوفيّة
نرجّع القدس من ايادي " الكفره"
وترجع سيناء مقاطعه مصريّه
-3-
الجولان ترجع لينا
اذا العباءه يوم ترضى علينا
ويرجع تاريخ قديم من ماضينا
لا حدود ... لا اطياف... لا قطريّه
من طنجه لبغداد للمدينه
يلغى الجواز ونوحّدوا الجنسيّه
-4-
قوموا العباءه حيّوا
واصطفّوا وراها .. للنّضال تهيّوا
دون العباءه ... ماتقدروا ماتسوّوا
مناضله من قبل في السريّه
وكل اللّي قريتوا في الكتب تقيّوا :
" افكار كافره... اصولها غربيّه"
-5-
لا تبّعوا جيفاره
لا تبّعوا " باتريس" لا ثوّاره
كذبه قديمه صدّقوها انصاره
توريث من احزاب " بلشفيّه"
وخوذوا العباءه نصّبوها اماره
وأميرها من الطّائفه " القطبيّه"
-6-
وقولوا " لينين" تهنّى
العمّال ساروا في طريق " البنّا"
وصار الصّراع ما بين شيعه وسنّه
ماهو صراع الضد والحتميّه
وصارت اللّحي لمخضّبه بالحنّه
تحدّد مسار القاعده الشعبيّه
-7-
اليوم اللّحي حكمتنا
وتحت العباءه توحّمت ثورتنا
وزادت قطر بأموالها حبّتنا
ظهرت حنينه على الشّعوب سخيّه
لكن حذاري في الخفاء باعتنا
اجنده خبيثه ...ترتيب صهيونيّه
-8-
ضخّت اموال بزايد
وصنعت من وهم الخرافه قائد
وارتدّت على خط النّضال السّائد
خط اللّي قاد شعوب للحريّه
وظهرت طوائف في العلن تتزايد
على الدّين ... والتّطبيع والقوميّه
-9-
سمعتوش ملاّ غرايب
فتاوي قبيحه ... بينها تتضارب
" كافر من هز السّلاح وحارب
بلا اذن من دعاة " خوانجيّه"
وما خص كان يكفّروا اللّي تايب
وتنصب مشانق محكمه شرعيّه
-10-
يا شيخ عيب كلامك
وعيب الفتاوي اللّي سوّقوها ازلامك
ظنّي خرفت... صدقت حتّى اوهامك
دوله خلافه سادسه سنيّه
بلادي مضيئه ... ما تحب ظلامك
متحصّنه بافكار علمانيّه
-11-
بلادي عنيده عليكم
متحصّنه ماتهزّها فتاويكم
ولا يهزّها مدّ الظّلام لا لحيكم
ولا شيخ عارض ثروته النّفطيّه
خضراء العنيفه تعرفه ماضيكم
وتعرف لحي متقمّصه الفاشيّه

الشاعر علي زمور
ترجمة فرنسية

Josiane Boureaux: pour l'Aphrodite bourrelle de cœurs


Josiane Boureaux, le pinceau d'Ouranos ressuscité!

La plume qui dérape quelquefois -quand elle encre un papier trop lisse- peut se permettre, introvertie, de pervertir les mots, ou plutôt d'user dans le langage déjà perverti et ranci, en surabondance empilé et compilé dans nos dicos, pour prêter à une vieille divinité grecque déchue par son propre sang le pinceau qu'il n'avait pas. Ouranos n'était pas un peintre. Ni un poète. Ni amant de beau. Bourreau du beau, bourreau de la famille, bourreau de la femme, de l'énergie vitale et séminale qu'il ne sut contenir ni investir dans le sensuel, l'affectif, le tendre, voilà ce qu'il était au juste, Ouranos. Et il serait tout aussi juste de dire qu'il fut déchu par son fils Cronos en raison du pinceau qu'il n'avait pas! Toutefois, à l'instant même où Crono(s) l'amputa du bourru bourdon de bourreau qui le rendait peu aimable à sa femme et ses enfants, à partir de l'instant précis où le tronçon de chair ensanglantée tomba dans sa mare de sang, revanche de la virilité martyre: ses attributs sectionnées au tranchant d'une pierre assassine devinrent un pinceau!

C'est un tel pinceau -en sus du sien propre de peintre- que Josiane Boureaux aurait saisi à temps pour nous donner cette 8e merveille du monde! A temps parce que l'instantané que la peintre immortalise à travers ce chef-d’œuvre nous restitue l'instant précis, la seconde même qui vit sortir de la virilité immolée ce que Ouranos dans sa vigueur et sa superbe méprisante virile, bourrelle du féminin, n'a pu donner.

Je  ne voudrais pas profaner la femme, à tant soit peu  insinuer ou laisser entendre (à travers des maux/maux qui ballent de la tête dans tous les sens)  que le sensuel talent au féminin, Josiane Boureaux, puisse refouler un complexe de castration. Pour tenir si
Josiane Boureaux: Aphrodite huile sur toile -2006
fier le pinceau fécondateur, frère du calame, à qui nous devons cette superbe Aphrodite et le vertige des mots. Mais c'est juste pour rendre  cette incontestable justice à  Josiane Boureaux -à la manière de la plume qui dérape- que le Beau pinceau qu'elle est, le beau pinceau par quoi elle "franchit le miroir", trempé dans l'inaltérable beau du sensuel, nous ravit !

Et c'est peu dire! trop dire!

C’est à nous hommes, et sud-méditerranéens surtout, et quelquefois trop phallocrates, même "waadistes" du génie féminin que nous n’aimons pas toujours voir prodiguer, de peur qu’il éclipse les phallocrates, à nous tels phallocrates -si nous pouvons nous humaniser un peu- de louer comme il se doit le sensuel qui nous flatte. Rajouterait-il à la superbe phallocrate qu'il pique de tel sensuel fini, tel sensuel ne peut que nous réjouir, si beau, si inimitable.

L'Aphrodite de Josiane Boureaux est une toile datant de 2006 et classée par son auteure dans les œuvres de Sensualité.

Cette peinture semble avoir lavé le sang viril martyr d'Ouranos émasculé par le cruel fils, Cronos ou le crono, le temps qui avale et ravale ses petits, nous les humains, de peur que l'imprécation de son père ne lui fasse subir les mêmes torts, ou pire, que l'impiété filiale avait commis sur l'instigation de la mère terre Gaïa.

Au premier plan qui émerge difficilement pour l’œil de l’observateur, en raison de l'ascendant imparti au sujet et l'autorisant à empiéter sur tel plan, on note d'abord le contraste de couleur avec le fond: la large palette du blanc, un certain dégradé de tonalités qui va de l'immaculé pur aux teintes légèrement bleutées, mais ayant pour dominante le clair, le blanc.
Ce clair et blanc qui tranche avec les tons froids, en arrière-plan, du bleu et noir, au fur et à mesure qu'il monte vire au jaune d'or, avec des petits filets de rouge, rouge sang qui émaille ici ou là le corps naissant d'Aphrodite. L'élément proprement pittoresque (océan, eaux, ciel, nuages) semble participer d'un émoi virginal qui soulève tout autant le terrestre que le céleste. L'éther en est saisi, comme la mer, par ces remous qui crachent la Beauté, mais voudraient en brider l'élan fuselé vers le ciel. C'est l'Apothéose à son stade initial, dédiée à la déesse de l'Amour, des Plaisirs et de la Beauté, entre autres.

Retour au blanc pour en dire encore ceci: il est à la source comme au sommet, à la naissance virginale comme au couronnement. Elle a beau être païenne, cette déesse, elle s'adjuge sa part de notre inconscient monothéiste: Vierge immaculée de la trainée de robe à la couronne, l'auréole qui l'attache au ciel. Et tel sacré n'est pas profane à l'endroit du Beau: le plaisir, la libido que notre vieux Saint-Augustin le Carthaginois avait mise en évidence, longtemps avant Spinoza, Freud et Jung, est le principe même qui préside à la vie. Comme à la mort aussi parfois. Et à la résurrection. Les jihadistes qu’on envoie, ici ou là, pour mourir, sans les houris promises au paradis- n’iraient pas d'eux-mêmes à la quête paroxystique de la libido. Par conséquent, vêtir ou revêtir la déesse grecque de ce qui appartient à la Vierge, pour le pinceau épicurien et pieux, mais aussi pour nos soufis épris de sensuel, n'a rien d'indécent ni immoral. Quelle que soit la latitude sous laquelle le Beau se profile, femme qui vous désire, ou femme que vous désirez, de chair marmoréenne ou chair qui s'ébroue sous vos bras, il mérite qu'on lui dédie ses autels, qu'on lui brûle un cierge quand on y entre, sinon devant sa porte on se dresse en cierge pour le saluer.      

J'évoquais plus-haut l'instant apothétique dans sa phase initiale. Et c'est à ce niveau précis que le génie créateur de Josiane Boureaux coupe son souffle au poète ravi! Aucune sculpture antique (Vénus callipyge ou Aphrodite, Cythérée ou autres) dans sa beauté marmoréenne, ou aérienne, éthérée, sur une toile de Maitre-peintre, ne saurait égaler l'Aphrodite bourrelle de cœurs!.

Pourquoi? parce que Josiane Boureaux ressuscite le mythe fondateur autant que l'Aphrodite qui en (re)jaillit, ce qu'aucune sculpture n'a encore fait. Ni ne pourra faire, en raison du matériau, taillé ou coulé, qui n'est pas de la nature du colorable.  Elle nous éclabousse de la douce eau qui l'éjecte de l'océan, et pour le bonheur de l’œil qui la saisit à travers l'instantané, tel que les yeux de la peintre en gardent le cliché de conception, tel que le pinceau le reconvertit sur sa toile, non pas au moment immortalisé par tant de marbres froids et autant d'huiles fanées, comme on en voit dans les musées ou les publications afférentes, mais au moment précis de l'accouchement, avec -attaché au placenta de l'océan- le cordon ombilical pas encore sectionné! C'est ce moment précis qui autorise à parler, dans  ma lecture de l’œuvre, de "naissance virginale", quand je mire au sens dénotatif le blanc (à la fois séminal et vestimentaire) dominant le premier plan du tableau.

Et à tel égard, il ne serait pas indécent de dire encore que c'est la virginité aphrodisiaque à l'état pur, la potion que la pilule bleue -malgré ses présumées vertus- ne saurait infuser, ni sortir du labo avec autant de fluidité et d'effet extatique pour les véritables "âmes damnées" du beau!

Et l'on n'épuiserait jamais ce que la plume doit encore au beau. La centralité, niveau cadrage, le plan rapproché, le point de vue horizontal: le marbre, l'huile fanée, le bronze ne pourraient pas autoriser ce que j’appellerais le "rapport symbiotique" entre l’œil dévot et l'objet de sa dévotion. Surtout avec ce regard qui en impose! l'or de l’œuf matriciel, le sang qui souille la nouvelle-née, Le gracieux des courbes qui laissent peu de place aux droites raides, autorisent le chassé-croisé entre ce qu'on voit et ce qui se vit en soi.

Le balayage introspectif consécutif à cette perception d'un art vivant en face de vous n'est pas tant l'acte de votre propre regard, ni n'est plus uniquement du seul ressort vôtre  -prérogative du vivant que vous êtes, mais c'est SON regard à elle, la peinture qui vit et communique sourdement avec vous.

Dès que vous vous ouvrez pour elle, la peinture s'ouvre de son côté à vous.
N'ayez pas peur de jouer avec les maux/mots en jouant avec elle. Ma note additive, sur la page-ci séparée, peut fournir un exemple illustratif. L’œuvre peinte et celui qui la lisse des yeux, ce sont deux voyeurs qui s'épient chacun de son côté! et jouissent chacun de ce que le regard de l'autre, coquet pour ne pas dire mieux, met au creuset commun des sensations reçues et émises. L’œil est un séismographe qui enregistre ici et là l'impact du sensuel et en use autant pour l'exacerber au fur et et à mesure que pour se valoriser soi-même dans le désir ainsi suscité, projeté sur l'objet du désir.

Pour finir, c'est à Josiane Boureaux que le calame cède son fin mot et l'avant-dernier verre de la bouteille, petit texte en vers butiné sur son site:
Photo Josiane Boureaux
"Sans peur assumer ses choix,
au-delà de l’œil humain, l'âme
Au delà de l'apparence, le vrai.
Franchir le miroir, Liberté
L'huile, matière qui me guide
C'est ici le chemin, Liberté."

Josiane Boureaux expose depuis 2006, à Paris surtout mais aussi dans d'autres villes en France. Sa peinture s'articule autour de trois thèmes majeurs: Flamenco, Expression du Corps, Sensualité.

Pour l'auteur de ce blog ravi par ce talent féminin qui franchit le miroir, il y a au moins, outre le talent qui fait valoir à bon droit ce qu'on lui doit, deux raisons supplémentaires pour aimer Josiane Boureaux: elle adore les Tunisiens, et pas seulement qu'à Sfax pour les intimes! et elle soutient la cause palestinienne et le Printemps des peuples arabes.




A. Amri
31.03.13




samedi 30 mars 2013

Ali Zammour: Avez-vous lu les inédits de la révolution?












Ni divers gauche panarabisme
baathisme ni droite ni maoïsme
retroussez un peu la chape
et vous la verrez coiffée d'un béret
la révolution

I-

Avez-vous lu les fatwas de l'éminence grise
que Karadhaoui guide de la néo-révolution
a émises?

Déposez vos armes
plus rien ne vaille la chape emblématique
béatique symbole de liberté!
Et ne vous étonnez pas qu'on vous dise
Éminence Grise et consorts
nous sommes capables
de faire couler un bâtiment de guerre naval
à la magie d'une pincée d'encens et de benjoin!

II-

à la baraka d'une chape verte
et  quelques psaumes dits
par les fakirs thuriféraires
aux nettes frappes de l'ardent bendir
pour agaillardir l'ardeur de la transe
à réciter malouf et soufi citer
ne vous étonnez pas qu'on vous dise
Éminence Grise et consorts
on peut reprendre aux impies Jérusalem
et faire de Sinaï une province égyptienne!

 III-

nous reprendrons Inch Allah le Golan
pour autant que nous soyons dans la grâce de la chape
et Inch Allah rendrons son Age d'or
à notre histoire passée
ni frontières ni multiconfessionnel ni étatique
de Tanger à Bagdad puis à Médine
aboli sera le passeport
unifiée la nationalité

IV-

debout partisans de la chape,
faites le salut rituel!
vite alignez-vous derrière
pour la guerre prêts au jihad
car sans ses vertus à la chape
rien vous ne pouvez faire
la chape ayant au passé milité
en clandestinité de sainte
vomissez tout ce qu'on vous fit ingurgiter
dans ces putains de païens livres
"la pensée impie, oh, oui!
d'origine occidentale"

V-

ne suivez guère Guevara
ni sa guerre à Patrice et révolutionnaires
révolu ce vieux mensonge
à duper niais partisans
révolu legs de partis bolcheviques
à la trique s'il le faut
alignez-vous derrière la chape
escapes et colonnes du futur émirat
dont l'émir Inch Allah sera
de la secte polaire.

VI-

A Lénine dites haut:" rassurez-vous!
c'est sous Banna et la bannière
que  prolétaires marchent désormais
aux lutte de classes caduques
les caciques préfèrent mieux
multiconfessionnelles luttes
entre chiites de confession
et confession de sunnites
ce n'est pas la caduque révolue
lutte à dialectique
non que non que non
c'est au bon principal cacique
de décider quelle voie aux suivants
populaire ou pas à suivre
à la lumière des phares barbus
et leurs barbes de henné teintes!

VII-

de ces jours le gouvernail est aux barbes
et sous la chape de bitume hamdoullah!
l'Immaculée révolution est féconde
en sus -hamdoullah encore-
Qatar de ses rials nous aime
qui à l'égard des peuples
est très généreux et prévenant

mais attention!
en sourdine Qatar nous a vendu
un fichu agenda infecté
concocté par les soins du sionisme

VIII-

Qatar a pompé à l'excès du liquide
et fait de l'antique chimère un caïd
à la lutte des peuples le dos tourné
à-reculons sur la voie passéiste
quant aux sectes et consœurs confessions
au grand jour toutes émergeant
pullulent elles et leurs surenchères
s'adjugeant comptant payés
religion de saints et saintes
plus sionisme-normalisation
et enfin l'anormal panarabisme

Avez-vous ouï dire -curieux ce dire ouïe!
avez-vous ouïe dire la voix cheikhale
comme Tartuffe se contredisant
qui dit non à Palestine
les armes et la lutte armée
sans l'aval ni l'appel
de la musulmane con-frérie sainte
il ne leur manquerait si éclairés
que frapper d'apostasie sainte
les pénitents et le commun des croyants
tous devenant gibier de potence
pour leur sainte inquisition

X-

Cheikh, tu as tort de parler ainsi
et de bénir les fatwas de tes compères
Mon avis est que tu es sénile
mythomane pris au piège de tes mensonges
un État califatif, ou le fictif 6e califat
mon pays n'en veut pas
cuirassé de ses Lumières
et sa pensée laïque: un bastion

XI-

mon pays par vous est imprenable
inviolables sont ses forts
au tir de vos fatwas inébranlables
mon pays ne fait cas
ni du flux de votre obscurantisme
ni du babisme de vos barbes
ni de postulant cheikh coquin
qui prend pour putain la Tunisie!

Le Pays-de-la-verdure sait
ce qu'était votre passé
et quel fascisme incarnent les barbes

Ali Zammour ( Texte arabe sous ce lien)
Traduction: A. Amri

30.03.2013

lundi 25 mars 2013

Inédits de déni

"Inédits de déni" ou les textes sauvés de l'enfer, sont le tronçon d'une vie déniée, inédite pour les habitués de ce blog, que je compte faire paraitre bientôt.

Je ne me rappelle plus quand je les avais "relus" une dernière fois, les ayant commencés depuis 78, pour les condamner sans appel à mort, au début des années 80. Le lieu par contre, hantant le texte même, fut Malakoff surtout, entre autres zones de bivouac en région parisienne.

Longtemps frappés de déni et en attendant d’être brûlés, ces textes ont été jetés et oubliés au fond d'un carton. Lui-même jeté dans la cave d'une épicerie que tenait mon frère. Au moment de rentrer au pays, faute d’avoir pu les incinérer sur leur terre natale, et bien plus par une réaction inhibitive -le souci de ne pas laisser trainer derrière moi des torchons pas propres, à leur mise au couloir de la mort j’ai rajouté la peine de l’exil.                                   

Arrivé au pays, c’était à bord d’une voiture  où mes seuls compagnons de traversée étaient des cartons de bouquins, dont une bonne moitié acquise aux puces, le condamné à mort devait être exécuté dans l’immédiat, mesure prioritaire sans quoi il m’aurait été difficile de me réimplanter dans la « tribu ». Pour soulager ma conscience une fois pour toutes. Et pour le carton qui a trop attendu ce coup de grâce, et pour moi qui craignais que tant de papiers moisis pussent infecter le lieu et les papiers à venir.                                                        
Par un soir d’hiver de l’an 1983, ce fut à un bûcher de sainte inquisition mahométane, en bonne et due forme, que je livrai mes condamnés à mort. Pour des centaines de feuilles jaunies ou pâlissant des affres de l'enfer, froissées, d’autres en parties rongées et sentant le doux parfum des souris malakoffiotes, jetées dans un fond de baril et arrosées d’essence.

Puis au moment où le carton était à moitié brûlé, à la faveur d'un petit café chaud que ma douce femme vint servir au bourreau enfumé que j'étais, un peu ivre de toute cette encre devenue des cendres sans vie, fatigué et -sans trop savoir comment, peiné d’avoir été hâtivement inclément à l’encontre d’une partie de moi-même  assassinée -à sang froid et avec préméditation, j’ai suspendu la peine pour le reste des papiers.  

Durant trente ans, alors même que je ne pouvais plus « désinfecter mon garage de leurs moisissures puantes» –comme le souhaitait vivement ma femme, je les léguai à l’oubli.                                                                                          
Puis un jour, alors que j’avais des petits travaux d’aménagement à faire au garage, au moment où mes enfants me demandaient s’ils devaient jeter le «vieux carton» comme tant de choses encombrantes dont a débarrassé le lieu, sans hésiter je demandai que le  vieux carton soit monté à « l’antre du Vieux ».

Pour la première fois depuis une éternité, sous l’accès d’une tendresse plaidant la cause du moisi, je songeai à remettre sous mon burnous les miens bâtards enfants de mon sang. Je songeai à réexaminer à leur endroit la sentence de mort pas encore assurée d’amnistie, afin de réhabiliter ne serait-ce que pour le parfum de ses reliques la fougue d'un cheval ailé de ma jeunesse perdue. Le « tronçon » de cette partie dont je me fus lâchement amputé. Et quand j’ai pu faire tel réexamen, c’est la totalité des rescapés de mon inquisition qui fut amnistiée. A juste droit sortie de la disgrâce, ces rescapés de l’enfer purent non seulement jouir de la douillette chaleur de mon burnous, mais bénéficier aussi de la réhabilitation totale, autant pour eux les chanceux que pour leurs petits frangins nés sous une mauvaise étoile. Martyrs petits par la tendre pensée réhabilités et suppliés de pardonner l'holocauste dont l'injuste histoire ne parlera pas.

Sincèrement, profondément, j’ai regretté avec beaucoup d’amertume ce que j’assimilerais à un infanticide de la jahilya. Et j’ai dû même pâtir de cette rémanence de cris qu’il me semble entendre encore aujourd'hui, jaillissant de ce feu qui crépitait de mes feuilles, transformant indument l'acide vocal de ma jeunesse en cendres. 
Pourquoi ce déni d’abord, le regret ensuite ?                                                                                             
Parce qu’il y a un jour dans notre vie à tous -je crois, où –nous regardant un peu au miroir, avec un œil plus introspectif que d’ordinaire, nous pensons que le moment est venu d’emboiter le pas au temps qui nous distance un peu. Et qui nous tance. Nous jugeons alors qu’il n’est plus permis de porter certains vêtements, devenus étriqués et démodés -parce que baroques, qui ne sont plus de nôtre âge. Quand telles fripes sont de l’ordre écrit, que tel écrit porte, outre le code graphique d’une langue dont on n'est pas natif, dont on ne pourrait être un fils prodige, mais -dans le meilleur des cas- un coquin d'amant, souvent fruste ou pas assez stylé, pas trop pliable aux convenances de tel registre et tel ton, et donc quelque peu décentré d'instinct et « en faux » avec l’amante, la belle cause que plaide le nouvel âge ne pourrait que botter au cul son baroque à l'âge mort !

On a beau se sentir encore à la verdeur du baroque, beau encore tiquer sur la guêpière parisienne à couvrir de son burnous, beau se dire que le bourru poils camelin et le satin gracieux pourraient se faire des transports communs, on se plie au verdict du premier cheveu blanc qui émerge de sa tête baroque !

Quand outre ce déni de l'étoffe cameline, "les bâtards nés sous le burnous" se ressentent autant de l'encre cameline que de la plume djebelienne dévoyée, que les confidences et les confessions du « mahométan » eux-mêmes rajoutent aux malheurs de "la nichée mixte", que le mixte risque de paraître moins ennoblissant de l'amour que profanateur -ne serait-ce qu'aux yeux bien-voyants de la bien-pensante opinion qu'on se fait pour les autres, ces enfants mal-aimés deviennent en tel cas encombrants.
Ils n'arrêtent de tordre au cheveu blanc qui les voit la tête et le bon sens de la conscience bien pensante. Ces coquins de lutins qui se lèchent et pourlèchent sur des feuilles dont certaines sentent la bière, le Bordeaux ou Sidi Brahim, se complaisant dans le sensuel "déjanté", parfois cynique quand le "déjanté" commerce en plus avec l’obscène,  s'enivre au jus vert de ses maux et mots, que pourrait dire leur père pour les défendre auprès du blanc cheveu rassis ? Que c'était sa mystique mahométane et son oliban mâle ? que tels lutins, si on les laissait grandir un peu et se faire un menton moins glabre, seraient derviches tourneurs au service de Sidi Mehrez ou de Lella Manoubia ? qu'ils pourraient même prétendre au titre de djihadistes servant la causse d'Allah par le tranchant de l'épée érotique dévote ? Le rassis  blanc cheveu n'en sortirait que victorieux contre l'avocat du diable.

Quand enfin ces textes, ou certains, risquent de nous compromettre aux yeux des nôtres, femme et enfants surtout, parce qu’ayant un caractère biographique, ou qu'on présume comme tel, intime et pas plus défendable ni digne d'indulgence,   alors le déni de l'âge baroque se profile comme la juste sentence, la sage et la seule mesure à prendre pour être de son temps. 


Ahmed Amri
25.03.2013

jeudi 21 mars 2013

Au fil des mots que les maux enfilent


Il y a des maux en nous incubés et incurables, qu'aucune panacée, chirurgie sélective, microchirurgie ou médecine de charlatans ne peuvent déloger de leur terrier. Parce que séquelles de vies mortes enfouies dans notre  univers sensible, débris de glace refoulés dans l'inconscient. Ils ne parlent pas ni n'élancent pour celui qui ne les entend pas, ne les soupçonne pas. A qui fasse de l'introspection son troisième œil, au toubib de soi qui dissèque ses mots, il les voit comme des bactéries fourmillant sur sa peau, tout aussi nombreuses, si ce n'est plus, que les pores de celle-ci. Il les sent rouler sur les papilles de sa langue, goûte au fondant de leur loukoum -amer- dont il avale des cubes et des cubes. Il en voit des essaims de guêpes voltiger autour de son nez, que les narines aspirent en reniflant, telles les pincées de neffa, le tabac à priser -fort- que l'aiguillon et son feu rendent piquant. Dans les yeux, ce sont des ballets, des carnavals, des saturnales de guêpières dont on ne se sature jamais. Et pour l'oreille, chants de fêtes foraines, appels et rappels de démons de succubes réclamant leur dû. 

Quand l'art, la poésie, l'écriture sous toutes ses formes s'en mêle, et que le prurit des mots accolés à leurs maux en emmêle des fils qu'il démêle dans le magma informe de l'inconscient, à se tâter ou gratter tel ou tel point du sensoriel, ce sont des grappes de mots et les pampres  de leur homonyme qui tirent de sa pointe la plume..afin que celle-ci les tire!

Il y a des maux disséminés sous la crête de nos papilles. Par légions. Postés en avant-garde pour
alerter nos sens. Dedans la nervure de la langue, sous l'émail des dents et sur les lèvres. Avec un ingénieux système de communications entre eux et, réparties dans le reste du corps, les autres unités de  surveillance sensorielle. Des réseaux, des câbles et des antennes, des stations de relai et des satellites. Pour soumettre chaque mot, pensé ou dit, lu ou écrit, à l'examen introspectif du mal qui le concerne. Et tel mal couvre alors son sens, non plus tout à fait comme un mal. Mais comme un mâle.
Puis poste le sens à l'outil de l'artiste qui s'en saisit: plume,  pinceau, corde musicale ou tout autre moyen d'expression artistique, reçoivent ainsi chaque jour des milliers de ces mots fécondés par leurs maux, qu'ils enchâssent dans l’œuvre de création.

Ainsi en nous les maux qui président aux mots.
Leur liquide séminal, leur graine de semis, le germe fécondateur. Et l’œuf qui s'en insémine, le fœtus qui sort de leur tissu. Sans quoi le mot ne naisse ni vive. Comme la terre sans la pluie. Et vice versa. Gaïa sans Ouranos. Et vice versa. Le projet maternel sans le paternel projet pour faire vie commune et la vie.

Il y a des maux qui -sortis de telle union entre deux projets de fécondation croisés- sont  aux mots frères jumeaux. D'autres cousins ou copains. D'autres encore à leur homonyme synonyme de l'âme sœur.  Le complément de la partie, la partie du tout indivis.

Il y a des mots et des maux qui s'aiment depuis l'état fœtal. S'ils ne naissent pas inséparables comme le couple d'oiseaux portant le nom, s'ils sortent de leur terre matricielle coupés en deux, seraient-ils jetés l'un au pôle nord et l'autre au sud polaire, telles les deux moitiés de l'androgyne mythique jetées chacune à l'extrême bout de l'univers, et chaque bout à l'autre diamétralement opposé, ils surmonteraient les blessures et les saignées, viendraient à bout des dieux qui les avaient séparés, vaincraient montagnes, mers, déserts et les océans pour émerger chacune de son horizon et crier:  j'y ai cru. Et je te ressaisis!


Il y a quelquefois entre les deux juste une amitié.
En tout probe, qui n'a rien à se reprocher, spontanée comme tant d'amitiés authentiquement vécues.
Avec parfois ses hauts et ses bas. Ses joies et ses peines, ses dépits et ses enchantements, à telle ou telle croisée de chemins. Ou sans peine aucune ni rien quelquefois aussi. 


De temps à autre, sans que les maux ni les mots n'en soient prévenus, parce qu'il y a toujours des zones floues dans pareille relation, une amitié  plus tendre.
On la voit émerger petit à petit de la zone d'ombre, plus débordante, et plus réservée aussi quelquefois. Et quand les mots ou compères interrogent cette réserve pas coutumière, le débordement qui intrigue, que la tendresse passe aux aveux, l'amitié comprend alors qu'elle est en train de glisser sur une pente savonneuse.
Les maux et leurs mots, par une complicité qui ne dit pas son nom, ignorent au début. E
t quand la tendresse persiste, quand elle insiste, quand elle monte sur ses ergots, ils la rabrouent vertement et désavouent.

Il y a tant de tendresses martyres qui, pour avoir soupiré à plus fort que l'étreinte de l'ami(e), et plus franc, sont jetées dans un caveau. Puis murées sous la chape en bitume.

C'est là que les amis qui autrefois se disaient frère et sœur, habituellement spontanés et ne se cachant rien,
apprennent petit à petit à ne plus tout se dire, à garder chacun sa part amère pour son jardin secret. C'est là qu'ils commencent, au fil des amputations réductrices auxquelles ils soumettent les désirs jugés impossibles,  à se mentir. Par tous les pores, les mots de l'amitié ne respirent plus que le mensonge. Et le désir impossible qui s'élance, élançant simultanément les côtes qui l'enferment, le dit à l'amitié: tes avocats mentent effrontément.

Et dans ces zones qui cessent ainsi d'être floues, où les mots et les maux
se recouvrant entièrement deviennent grammaticalement paire de synonymes,  se tissent souvent des tragédies que la plume ne dit pas. Par noblesse d'âme, par respect de soi ou de l'autre, par souci de préserver la relation dite fraternelle. 


En pareil cas, soupirer à plus fort que l'étreinte de l'ami(e), et plus franc
, devient presque inceste.


A.Amri
21.03.13


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